Petit chosier

Brimborions, babioles et bidules
Par Romain T. et Fabrice D.

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Tag - Alexandre Vialatte

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samedi 17 septembre 2011

Lettres à Maricou

Certains journalistes semblent des insectes xylophages qui ne sauraient s'éloigner trop de leur marronnier : ils se font termite pour explorer l'immobilier, scarabée doré pour approcher les riches, bête-à-bon-dieu pour contrecarrer les francs-maçons. Mais les métaphores sont trop dangereuses pour les manier à la légère : le journaliste en vermine, c'est le rêve de tous les exterminateurs. Disons donc que certains vont à la facilité.

Ma facilité, c'est Vialatte : c'est le nord que suit le pigeon, l'aimant auquel se colle la limaille, le beau meuble sous lequel roule la poussière. Plus qu'une facilité, un confort : les phrases de Vialatte, ce sont ces poêles auxquels Maigret passe sont temps à se coller ; son lyrisme ces fines à l'eau, dont il s’enivre.

Il y avait longtemps qu'on n'avait pas parlé de Vialatte ici.

Je referme ses Lettres à Maricou. Comme j'ai hésité à l'ouvrir, ce petit livre si joli ! Tout ceci est si compliqué, sous des abords si simples : on devrait, croit-on, se tenir aux écrits des écrivains, aux romans des romanciers, aux poèmes des poètes. Les grandes lignes sont là. Mais tous ces romans qu'il a laissés inédits, ne peut-on pas les lire eux aussi ? Il était journaliste, on lit ses chroniques. Auvergnat, on lit son Auvergne absolue. À force de tirer sur le fil, tout le vêtement vient et révèle des endroits plus intimes. On se convainc qu'une correspondance d'écrivains est toujours de la littérature, ou au moins un à-côté suffisamment proche pour justifier l'intrusion d'un lecteur. Mais Maricou n'était pas écrivain ! Les lettres à Maricou ne sont pas celles à Pourrat : l'une charnue, l'autre barbu, Vialatte remarquait ces nuances. Ce sont les lettres d'un amoureux de vingt-trois ans ! Comment oser les lire ?

Je les ai lues pourtant et j'ai bien fait, car Vialatte amoureux reste Vialatte. Fantaisiste : Henriette Maricou y est tantôt Yetto, tantôt mon vieux Maricou. Provincial : dès la deuxième lettre paraît l'adjectif sous-préfectoral. Inattendu : je vous aime comme un veau. Et poétique, lettré, triste. Son rire semble toujours cacher comme une douleur et, quand il pleure enfin, il continue d'en rire.

Vialatte, écrivain notoirement méconnu, chroniqueur de génie, aura donc marqué un genre mineur de plus : la correspondance d'amour non réciproque.

lundi 24 janvier 2011

Ambert

Paris est cinématographique ; Clermont-Ferrand, pneumatique ; Aix-en-Provence, picturale. Mais Ambert ? Ambert est à la fois papetière et littéraire : Richard de Bas y moulinait du papier ; Henri Pourrat y est né ; Alexandre Vialatte y repose. On penserait que, dans une ville de lettres, les mots auraient un sens. De fait, ils en ont un, mais qui n'est pas le sens commun : ils font quelques tours sur eux-mêmes, comme le touriste autour de la mairie ronde, s'en étourdissent et finissent par dire des bêtises.

Juillet part de bon matin de Clermont, il s'égare sur les chemins du Forez et arrive à midi à Ambert : il y grelotte, un peu surpris, et regarde sa montre. Serait-il en retard ? Aurait-il dépassé la Toussaint sans la voir ? Non, non : juillet est bien juillet, mais il fait 12 degrés.

Un sous-préfet arrive en même temps, tout frais nommé. Il pense grandeur de l'État, la sous-préfète rêve de garden-parties. Mais la sous-préfecture n'est pas bien grande et n'a pas de jardin. Cela s'appelle un chef-lieu d'arrondissement, cela ressemble à un gros bourg. Un tracteur passe, une vache égarée s'approche et commence à brouter l'œillet que le sous-préfet avait mis à sa boutonnière. Juillet s'éloigne et tous frissonnent : ce ciel gris, cette lumière pâle, ce vent glacial, ce serait donc l'été ? Mais que sera janvier ?

C'est qu'il ne faut pas lire Vialatte avant d'aller à Ambert : les gamins qui courent dans les rues, les tilleuls qui embaument, la statue barbue que les écoliers déguisent, le touriste peine à les trouver sous le soleil pâle. Tous doivent être dans les champs ou dans un lieu-dit au nom pittoresque. Ce sont les grandes vacances et la ville n'est plus habitée que du terrible Monsieur Panado.

vendredi 30 avril 2010

Les aldéhydes non-énolisables subissent la dismutation de Cannizzaro.

Charles Dantzig n'aime pas les clichés ; Romain, non plus ; les journalistes, si. Tous les matins, dans telle revue de presse, tel journal consacre sa manchette. Les températures sont conformes aux normales saisonnières, un ciel de traîne subsiste au sud de la Loire, les brumes matinales se dissipent toujours. Le Quai d'Orsay proteste, la place Beauvau punit, la Chancellerie comble les vides juridiques. Pendant ce temps-là, l'Élysée arbitre et Matignon gouverne. La Maison-Blanche, le Kremlin, le 10 Downing Street observent tout cela de loin. Dans tout l'Hexagone, les usagers sont pris en otages : on n'en sortira que par un Grenelle.

Les journalistes ont même un cliché pour parler des sujets rebattus : ce sont des marronniers. Le vrai pouvoir des Francs-Maçons, le grand classement des hôpitaux, dans quel lycée envoyer ses enfants ? qui gouverne vraiment la France ? Les cultureux n'y échappent pas : le palmarès des films de l'année, de la décennie, du siècle ! Et l'année Schumann, et l'année Chopin, et l'année Déodat de Séverac (plus rare). Les sportifs, de même : de ballons d'or en Jeux Olympiques, d'hiver en été, et le Tour de France tous les ans.

Mais, quoi ! on leur demande d'écrire, d'écrire et d'écrire encore. Que dire du monde, quand le monde dort ? Comment prendre le temps d'écrire, quand il s'affole ? Il faut noircir du papier, toujours, tous les jours, quoi qu'il arrive. Comme ces musiciens hollywoodiens qui composent au kilomètre : échappent-ils au cliché, à la redite ? Le thème du Seigneur des anneaux sonne déjà dans la troisième symphonie de Sibelius ; celui de Sleepy Hollow, dans le troisième concerto pour piano de Rachmaninov ; celui d'ET, on le devine dans le dernier mouvement de la Cinquième de Beethoven. (Si on se force un peu.) Paresse ? Réminiscence ? Raccourci pour rentrer plus tôt chez soi ?

Attention : voilà que je mélange tout.

Je comptais blâmer le cliché pour mieux vanter la citation et la redite, je confonds le tout dans mon troisième paragraphe, comment conclure dans le septième ? Puisque nous parlions de Rachmaninov : dans toutes ses œuvres, à un moment ou un autre, le thème se déforme, craque, se déchire ; quelques notes passent la tête par la fêlure, disparaissent à nouveau dans la mélodie, reviennent à la charge pour agrandir la brèche ; un coup final, le thème explose pour de bon, un monstre en sort, comme les serpents des Œufs fatidiques de Boulgakov. C'est le thème du Dies Irae. Ce n'est pas systématique, car l'effet est toujours différent, mais c'est inévitable. Alors, cliché ? Je ne crois pas.

On peut être hanté par des idées, des mélodies, des couleurs. (Klein, bleu ; noir, Soulages.) Ce n'est pas un cliché puisqu'il ne revient qu'à soi. Parfois, c'est un eczéma qui demande à ce qu'on le gratte, encore et encore. (Vialatte : Le progrès fait rage.) Parfois, c'est un havre, une position de repos, un point de chute. (Vialatte : Et c'est ainsi qu'Allah est grand.) L'artiste fait sienne son obsession ; ses disciples la reprennent par hommage ; la foule la répète par habitude — alors, c'est un cliché.

Il y a ainsi une phrase qui me revient souvent, comme un repas trop riche le long d'un après-midi trop chaud. Elle concerne le formaldéhyde, qui sent si bon l'amande mais qui est suicidaire. C'est une bien jolie phrase, sur un rythme de tango, pleine de mots mystérieux comme des noms de papillons précieux. Mais que faire d'une phrase pareille ?

samedi 9 janvier 2010

D'un vice à l'autre

Écrire un blog, c'est très exactement comme arrêter de fumer. On s'y jette plein d'espoir lorsqu'une nouvelle année approche que l'on veut traverser la tête haute. Les premiers jours sont exaltants mais, très vite, les tentations deviennent trop fortes. Un jour, on craque : on a une idée de billet, mais il y a Nicky Larson à la télévision. Avec Jacky Chan. On se doute bien que ce n'est qu'un prétexte, que l'envie n'y est plus, mais on se jure que ce n'est l'affaire que d'un soir. On écrira ce billet le lendemain, ce n'est pas un drame. Le lendemain devient le surlendemain ; les jours deviennent des mois ; et le blog, une jachère. Les commentateurs qu'on aimait tant, malgré leurs smileys, ne s'arrêtent plus que de temps en temps pour déplorer le temps qui passe. Ils laissent quelques mots, comme des chrysanthèmes sur une tombe.

Pour éviter cela, le blogueur ruse, le blogueur s'amuse, le blogueur se force à ne pas s'ennuyer : tel écrit ses billets sur papier et publie les photos de sa graphomanie ; tel autre ouvre un blog, puis un autre, peut-être d'autres encore qu'il nous cacherait ; tel dernier semble avoir renoncé. La toile, qui n'oublie rien, persiste à ouvrir les portes de ces maisons ou personne n'entre plus.

Ce blog-ci va essayer de renaître, sous un nouveau nom et sous de nouvelles couleurs. Ether, c'était un joli nom (merci Pico de me l'avoir trouvé !), mais c'était un nom choisi par défaut. Comme la charte graphique, d'ailleurs : quand on ne pense pas rester dans une maison, on n'en change pas la tapisserie. Eh ! bien, faisons mentir l'entropie, forçons le destin : quelques heures de travail et la peinture est quasi fraîche, désormais. Il reste sans doute quelques finitions de-ci de-là pour qu'Internet Explorer se sente aussi chez lui.

Ayant désormais une idée assez claire de ce que ce blog peut être, je peux lui choisir un titre. Et une figure tutélaire, du même coup : Alexandre Vialatte avait son Grand Chosier, je m'en suis aménagé un petit. Un bric-à-brac de métaphores bancales, de rythmes ternaires et de brimborions. En noir sur blanc, avec des lettrines rouges.

Terry Pratchett dit que tout le monde veut avoir écrit. Le difficile étant d'écrire, tous les jours, un peu. Au travail, donc.