Petit chosier

Brimborions, babioles et bidules
Par Romain T. et Fabrice D.

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Tag - maman

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jeudi 23 juin 2011

Cinq fruits et légumes frais

Un casus belli récurrent de mon enfance étaient les légumes verts. Un instant. Relisez lentement cette phrase : un casus belli récurrent de mon enfance étaient les légumes verts... Voyez le déplacement du sujet et le verbe qui s'accorde tout de même avec ce dernier. Cette phrase est parfaitement saine, et pourtant elle semble fausse. Exactement comme les légumes verts.

Le concept de Légume Vert en était un que mon cartésianisme juvénile rejetait spontanément. Le Père-Noël, Dieu ou la petite souris, passent encore, mais le Légume Vert, non. Un seul contre-exemple défait une théorie. Pourquoi, alors, ma mère niait-elle encore et encore l'évidence ? Mange tes légumes verts, me disait-elle, mais je doutais devant mon chou-fleur (beige), mes aubergines (noires), mes carottes (rouges), mes betteraves rouges (violettes), mes poivrons (bigarrés) ou mon maïs (jaune, malgré le Géant Vert).

Celui qui a forgé cette expression était ou daltonien ou pervers. Je lui dois une enfance faite de doute et de relativisme, ballottée de fausse vérité en certitudes anéanties. Légumes verts : l'aubergine, le poivron sont des fruits ; le chou-fleur est une fleur ; le maïs une graine. Comment croire ensuite qu'ils puissent être bons pour la santé ? Le salsifis me donne la colique.

Fourbe comme un légume vert pas vert, oui ! Tenez, dimanche dernier au marché : il avait l'air tout charmant, tout mignon, ce petit chou (blanc). Je me le ferai bien, cette semaine, me dis-je ; il m'aura fait la semaine, vous dis-je. Les petits choux blancs ne sont petits que jusqu'à ce qu'on les découpe : ils tenaient dans la main, ils débordent du faitout. Tous les midis, j'en ai mangé, et un soir aussi : je n'en suis venu à bout qu'aujourd'hui.

De rage, je le suis, moi, vert.

dimanche 17 octobre 2010

Plus forte que Duhamel

Si les chauffeurs routiers s'y mettent, ça va tout bloquer et, là, ça va enfin avancer, parce qu'on a beau manifester, rien n'avance, puisqu'ils ne veulent pas reculer, mais si les routiers bloquent tout, là, ça va avancer et ils vont reculer.

Ma maman, citée de mémoire.

samedi 2 janvier 2010

Autobiographie, suite

Je ne suis pas du genre à grimacer face à la médisance. (Voilà ce qu'on appelle une litote.) Les commérages, les ragots, le persiflage ne me déplaisent pas plus.

Pour autant, les autobiographies me mettent parfois mal à l'aise lorsqu'elles se mêlent d'autres vies que celle de l'auteur. Si je supporte tout à fait les impudeurs du narrateur, le détail de ses perversions, le dictionnaire de ses petitesses ; si je prends même un certain plaisir à lire des méchancetés ou des détails croustillants sur sa famille, l'alcoolisme d'une mère, les inhumanités d'un frère, les excentricités de l'inévitable tante un peu folle ; je suis toujours embarrassé quand un pan de la vie privée d'un personnage public m'est dévoilé.

Page 228 de son autobiographie My Lives, Edmund White s'inquiète soudain :

I can imagine some of my friends reading this and muttering TMI - Too Much Information or Are we to be spared nothing? Must we have every detail about these tiresome senile shenanigans?

J'imagine certains de mes amis lisant ceci et marmonnant TI - Trop d'informations ou Rien ne nous sera donc épargné ? Doit-on vraiment savoir tous les détails de ces manigances exaspérantes de vieillard ?

Un paragraphe plus haut, il expliquait qu'il ne se déshabillait pas pour sucer T. dans les premiers temps de leur relation, que son seul objectif était d'amener T. à jouir et de pouvoir goûter son sperme ; un paragraphe plus bas, il détaille comment il a amené T. à le fouetter. Un chapitre plus tôt, il évoquait Michel Foucault, Susan Sontag et un grand éditeur parisien qui, à l'article de la mort, pouvait encore s'assurer des coups d'un soir grâce à son pénis énorme. Encore plus tôt, c'était sa mère alcoolique et grasse, étouffant dans un corset, flirtant avec les hommes qui lui payaient à boire mais échouant à en séduire aucun. Le tout, très bien écrit, drôle et touchant, comme il est de coutume de le dire en quatrième de couverture.

Pourtant, il y a quelque chose là-dedans qui me gêne. Et ce n'est ni le sado-masochisme, ni le drame familial. J'ai sans doute une trop grande aversion et une trop grande crainte du name dropping. En ce moment-même, j'imagine mes amis lisant ceci et marmonnant TRL - Trop de références littéraires ou Doit-il vraiment nous faire part de toutes ses lectures d'auteurs obscurs ? Il y a toujours un risque de fanfaronnade à citer un nom connu : ne cite-t-il tel auteur que pour se glorifier de l'avoir lu ? tel philosophe que pour le prestige de l'avoir rencontré ? En me raisonnant un peu, je comprends bien pourtant qu'on ne peut pas écrire une autobiographie (encore moins la vendre, ensuite) si l'on prend soin de ne citer que les gens qu'on a croisé et dont on est sûr que le lecteur de les connaîtra pas.

En janvier de cette année-là, mon boucher, M. Caillefer prit sa retraite. Son remplaçant, M. Duplessy, ne parvint jamais à me le faire oublier.

Au pilon !

En fait, ce malaise en moi, lorsqu'on évoque les mensurations d'une semi-célébrité ou l'agonie d'un philosophe dans une autobiographie, je le dois probablement à ma mère. Que vont penser les voisins ? La peur du qu'en-dira-t-on, enracinée dans la petite-genterie, arrosée de bassesse de sous-préfecture, ma mère en a fait une morale. Une génération plus tard, instinctivement, j'en fais un principe de critique littéraire. Un mauvais principe, qui plus est. Je devine l'objection à venir : pourquoi la peur du qu'en-dira-t-on ne couvrirait-elle que les personnages publics et non la famille et les proches de l'auteur ? Pour la réponse exacte, demandez à ma mère. Je suis peut-être imbibé de cette morale familiale comme une éponge oubliée au fond d'un évier mais, pas plus que l'éponge ne saurait vous dire pourquoi son côté vert ne doit pas frotter le téflon, pas plus je ne saurais vous expliquer pourquoi ce qui se fait se peut et ce qui ne se peut pas ne se fait pas. Disons simplement que, de ce que j'en ai compris, dauber sur la famille et colporter à propos des voisins relèvent plutôt du sport ou de la bonne hygiène de vie que de l'interdit moral.

Un dernier nom, une dernière lecture, pour justifier ou pour empirer la méchanceté du paragraphe précédent. Dans ce qu'il prétend ne pas être son autobiographie, Julian Barnes écrit ceci :

Il faut écrire comme si ses parents étaient morts.