Petit chosier

Brimborions, babioles et bidules
Par Romain T. et Fabrice D.

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Tag - politique

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dimanche 12 décembre 2010

Quarante-deux

Puisque vous me posez la question, permettez-moi d'y répondre sans détour. Le sujet est trop grave pour se contenter de faux-semblants ou de demi-mesures ; pour autant, il nous faut éviter les pièges des extrêmes : il est trop simple de critiquer l'angélisme de ceux qui tiennent à certains principes fondamentaux, il est trop rapide d'appeler cynisme le pragmatisme de ceux qui affrontent la réalité telle qu'elle est. J'aimerais dire qu'il faut, aujourd'hui, sortir des vieilles postures, faire bouger les lignes et bâtir des ponts : ce n'est plus l'heure de la politique politicienne telle que la font mes adversaires. Ce qu'il faut, c'est vaincre les conservatismes sans brader nos traditions, faire fi des idéologies du passé sans négliger nos fondamentaux, affronter avec courage l'avenir non sans rassurer ceux que l'avenir inquiète. C'est pourquoi j'appelle à se rassembler autour de moi les hommes et les femmes de progrès, les hommes et les femmes de conscience, les hommes et les femmes de bien. Voilà ma réponse.

dimanche 17 octobre 2010

Plus forte que Duhamel

Si les chauffeurs routiers s'y mettent, ça va tout bloquer et, là, ça va enfin avancer, parce qu'on a beau manifester, rien n'avance, puisqu'ils ne veulent pas reculer, mais si les routiers bloquent tout, là, ça va avancer et ils vont reculer.

Ma maman, citée de mémoire.

vendredi 16 juillet 2010

On n'apprend rien, jamais

Lundi dernier, l'aviez-vous remarqué ? la vérité a triomphé de la calomnie. Les chiens n'auront pas eu raison de notre République irréprochable.

Nous croyons que les hommes politiques ne sont plus capables de nous surprendre. C’est compter sans les louanges qu’ils se donnent à eux-mêmes après chaque pas de clerc qu’ils ont fait. Nous autres, gens de lettres, si notre pièce est un four, il nous faut bien en convenir, la critique est à nos chausses pour nous le rappeler, et la recette nous renseigne mieux encore. Les politiciens, il n’en est presque aucun qui sache tourner à sa gloire un désastre militaire qu’il a organisé, et se tresser des couronnes avec les étrivières qu’il a reçues.

Le plus fort est qu’il ne trompe personne, qu’il le sait, et que chacun fait semblant de le croire. Cette indulgence qui est passée dans les mœurs des Français, depuis tant d’années qu’ils vont de catastrophe en catastrophe, nous devrions nous rendre compte enfin, de ce qu’il nous en coûte. Il est temps et il est grand temps.

[…]

Mais les mots sont devenus une nourriture à l’usage des militants et des parlementaires : ils s’en contentent et oublient d’aboyer. La politique a vidé le langage de sa substance. En dépit de commentaires innombrables et quotidiens, l’histoire que nous vivons se déroule inexprimée.

François Mauriac, Bloc-notes de « L’Express » n°274 du 21 septembre 1956.

Relisez la date. Voilà : nous sommes un peuple idiot et amnésique.

jeudi 13 mai 2010

Commission moi-même

Sans penser à mal, je me suis auto-saisi : on ne me demandait rien, je mande, je mande. Je me suis réuni et je me suis concentré, par crainte de me disperser.

Comment résister ? Que de sujets offerts à la curiosité de Bouvard et que de questions à la sagacité de Pécuchet ! Les grands débats colorent les kiosques comme les bonbons d'un confiseur : on leur résiste encore, ils ont gagné d'avance, on leur cède enfin. Sur lequel se jeter ? Cette petite chose écœurante qu'on a barbouillée de rouge, de blanc et de bleu pour nous la faire acheter ? Cette boule puante emballée de noir qu'on n'a sortie d'un tiroir que pour incommoder les voisins ? Non, merci : ces douceurs un peu rances me donnent des aigreurs.

Aux débats électoralistes, préférons les questions électorales : un prochain séjour londonien m'a rappelé un certain proverbe local. When in Rome... Justement, mes hôtes se passionnent soudain pour le scrutin proportionnel. Plus qu'un débat, c'est pour eux une affection chronique, une allergie bénigne, un eczéma paisible : les crises surviennent tous les cinq à quinze ans, suite à l'exposition à un scrutin uninominal à un tour. Lorsqu'un proche se gratte, comment ne pas être démangé ?

C'est pourquoi, disais-je, je me suis auto-saisi. (Tout ceci n'était que l'introduction : annonçons enfin le propos, bâclons le développement, concluons rapidement.) Je me suis installé en commission, je me suis constitué en assemblée, bref je me suis appliqué la formule réglementaire appropriée : désigné président de la Commission moi-même, comme d'autres auparavant, je me suis chargé de réfléchir aux élections françaises. Afin d'éviter le reproche d'un manque d'ancrage dans un terroir fantasmé, la Commission s'est doublement saoulée avant d'entamer ses travaux : au Sancerre blanc, pour le terroir, et à la bière, pour l'ancrage.

Posons les deux extrêmes.

Le scrutin uninominal à un tour a le mérite de la clarté, comme la roulette russe : un candidat en réchappe, très légitime, très investi. On lui tape dans le dos entre le poissonnier et le primeur ; on lui dit qu'on a voté pour lui en lui serrant la main ; la larme à l'œil, on le regarde partir vers le boucher : c'est un bon petit gars du pays, derrière sa cravate, un gars comme nous. C'est son nom qu'il y avait sur le bulletin, c'est son nom qui l'a emporté. Les vaincus sont éliminés, sans chance de négociation, sans chance de compromis. C'est violent, expéditif et propre. Et, par conséquent, injuste : le premier peut l'emporter sur les suivants, quand la masse des perdants aurait suffi à écraser le vainqueur. Additionnez les circonscriptions, vous multiplierez l'injustice.

Pour la justice, préférez la proportionnelle : c'est l'héritière du forum antique. Le Parlement comme émanation de la Nation : un homme, une voix. Et toutes les voix comptent : les minorités sont enfin écoutées, les vertes comme les rouges, et les brunes aussi. Si la démographie ne l'empêchait pas, on pourrait envisager la démocratie parfaite. Un homme, une voix ? Un homme, un élu ! Ce serait, excusez le gallicisme, la chianlie : les petits accommodements, les contreparties, le consensus mou, le conservatisme, l'arrêt.

Un gras notable s'endort au milieu d'un matelas trop meuble : une certaine rondeur, une certaine mollesse, que mon esprit et mon ventre se partagent, me poussent souvent à l'entre-deux.

Faisons exception et écartons rapidement une solution médiane. Le vote proportionnel avec prime au gagnant ? Un optimal illusoire : les minorités sont représentées, certes, mais n'ont aucun pouvoir ; des majorités se dégagent, certes, mais insuffisantes pour éviter les marchandages. Les seuls gagnants sont les micro-partis qui aboient fort mais ne veulent pas mordre : un foulard rouge, une chemise brune, cela vous décore une assemblée, cela fait pittoresque, cela met un peu de vie. Il n'y a qu'à... il n'y a qu'à... hurlent-ils du banc du fond, près du radiateur : ils sont bien au chaud, à l'abri du gros temps, et n'ont rien à faire que vociférer. Il n'y a qu'à... Pas de vice-présidence, pas de responsabilité, rien : ils voudraient bien mais ne peuvent point, disent-ils à leurs électeurs. Ce qu'ils peuvent, cependant, c'est discrètement passer à la caisse et monnayer leurs voix. Les plus intransigeants se contentent de nuire. L'électeur se croit représenté comme le sauvage se croit riche : ils admirent le brillant de ces babioles colorées qu'on leur a accordées sans voir qu'elles ne sont que de verre.

Puisque rien ne va, la Commission peut exposer ses préconisations. C'est ce que produisent les Commissions, comme les huîtres des perles : de petites choses jolies quoique inutiles, qu'on exhibera un temps avant de les remettre au coffre pour ne pas les user. Quelle liberté ! On peut préconiser sans craindre l'erreur, avec la certitude que rien n'aura la moindre conséquence. Il n'y a qu'à... Préconisons, donc, le cœur léger. Préconisons, donc, sans plus attendre.

Attendu que le peuple demande à être entendu, à être consulté, à être représenté ; attendu que l'Assemblée Nationale devrait être l'émanation de la Nation ou, mieux, son miroir ; attendu que l'absence de soudards chauvins, de révolutionnaires impuissants et de gentils admirateurs des pires totalitaires, bref, que l'absence de certains partis gâche la ressemblance ; attendu que la Constitution accorde au Sénat et non à l'Assemblée Nationale le rôle de représenter les territoires ; attendu que l'élection des députés par circonscription encourage ceux-ci à renforcer leur ancrage local d'un mandat de maire qui les distrait de leur œuvre législative ; la Commission moi-même préconise que les députés soient désormais élus à la proportionnelle intégrale, sur des listes nationales, avec interdiction d'exercer en parallèle tout mandat local ou européen.

Attendu que la République a tout de même besoin d'être gouvernée ; attendu qu'une Assemblée Nationale élue à la proportionnelle serait instable et oscillante ; attendu que le mode d'élection actuel des sénateurs rend l'évolution de la Chambre Haute lente et mesurée ; attendu que le Sénat pèse comme le pied d'un culbuto ; attendu que les députés-maires répugneraient à lâcher leur ville comme la moule son rocher ; attendu qu'une transmutation massive de députés-maires en sénateurs-maires permettrait d'abaisser rapidement l'âge moyen des députés ; attendu que la démocratie aime le brassage et le renouvellement des élites ; la Commission moi-même préconise que les sénateurs continuent d'être élus comme ils le sont aujourd'hui, continuent d'être au Palais Bourbon et à l'Hôtel de Ville, continuent de vieillir et de peser.

Tant de lignes pour arriver à deux préconisations si mineures ? Certes, mais auraient-elles été plus majeures ou plus nombreuses qu'elles auraient aussi peu compté. Pourquoi, alors, se fouler ? Supportez cependant quelques mots de plus : une conclusion en forme d'ouverture.

Partie des élections britanniques, la Commission moi-même a pu réformer, modestement et inutilement, les élections françaises. À croire que nos ressemblances peuvent l'emporter sur nos spécificités, celles-ci n'étant que contingentes quand celles-là seraient plus essentielles. Pour résumer d'une formule : à différentes nations, identité de préoccupations. Sans doute y aurait-il une morale à tirer.