Petit chosier

Brimborions, babioles et bidules
Par Romain T. et Fabrice D.

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Grosse colère

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jeudi 22 novembre 2012

Non-inventaire

Je n'ai jamais volé, tué ou travaillé sérieusement un dimanche ; je n'ai commis ni adultère, ni idolâtrie, ni faux témoignage ; je n'ai de cesse que d'honorer mon père et ma mère, en cueillant les fruits des chances qu'ils m'ont données, en aimant comme ils m'aiment. Il m'arrive, certes, parfois, d'évoquer en vain le nom de Dieu, mais, nom de Dieu ! à qui cela n'arrive-t-il plus de nos jours ? Quant à honorer d'autres dieux que Dieu, qu'Il m'en préserve : pour être sûr de ne pas me tromper de dieu, je n'en honore aucun, ce qui est fort malin, quoi que je n'honore pas non plus le Malin. Je n'ai jamais, pour finir, convoité la femme de mon voisin — serait-ce le problème ?

Je n'ai jamais détourné d'argent, je n'ai jamais trafiqué d'influence, je n'ai jamais été corrompu ni n'ai jamais corrompu, je n'ai jamais été condamné, je n'ai jamais été soupçonné, je n'ai exercé aucun emploi fictif, ni n'en ai accordé, je n'ai jamais voté pour mon intérêt particulier contre l'intérêt général, tel que je le concevais. J'ai, cependant, je le confesse, trafiqué au moins une fois une élection : c'était au collège, je  briguais la délégation de classe, et je n'ai pas voté pour moi, mais pour Antoine, qui n'était peut-être même pas candidat, mais que j'aimais bien, depuis le CP, pour ses cheveux blonds notamment, qui étaient beaux et blonds, certes, mais n'étaient pas un bon motif de vote, et pourtant — serait-ce le problème ?

Je n'ai jamais dégradé le mobilier urbain, je n'ai jamais tagué un mur, je n'ai jamais rayé une vitre de bus, je n'ai jamais fumé. J'ai déjà vomi dans la rue mais, Camille en témoignera, j'ai couru vers une poubelle où j'ai œuvré, consciencieusement. J'ai, certes, déjà uriné : contre un mur, au pied d'un arbre, dans un terrain vague, en forêt, dans des toilettes publiques, contre des toilettes publiques mais elles étaient hors service et constituaient l'ultime frontière qui séparait mon pantalon d'une humidité menaçante. C'est là l'usage le plus exubérant que j'aie fait de l'espace public, hors ce rêve où un pompier me retrouvait au milieu des dunes pour me sauver d'une tempête de sable — serait-ce le problème ?

Je n'ai jamais été un rebelle, ni un contestataire. Je ne me suis extrait d'une petite classe moyenne timide et discrète que vers une petite bourgeoisie timorée et tiède. Jamais la République, la Nation, la France n'ont tremblé sur leurs bases à cause de moi, ni la société, ni l'Europe, ni le monde. Quelles bases fragiles il leur faudrait ! Et quand bien même ?

J'aime Romain et je ne comprends pas en quoi cet amour, ou sa reconnaissance, ou celle du couple qu'il a permis, serais-je même un trublion, le couteau entre les dents, la banderole au poing, je ne comprends pas en quoi cet amour menacerait la société.

(Bisous, môssieu.)

vendredi 29 juin 2012

Amours accordées, amour démembré

Certains jours, quand ne se peuvent concilier le bon sens et la nature, un instant brouillé-e-s ; quand tombent d'un même fracas les frontières et les obstacles, ensemble abattu-e-s ; quand poésie et réalisme font chemin commun, enfin réconcilié-e-s ; certains jours, le soleil et la lune éclairent un même ciel, lui brillant, elle luminescente, tou-te-s les deux radieux-ses.

Le soleil a rendez-vous avec la lune, dit le poète, d'un ton et d'une humeur joviaux-ales. Et, badinant toujours, le poète et sa muse, cruel-le-s, chantent leurs amours contrariées et leurs délices différées. Certain jour arrive et les voilà joué-e-s : le soleil, la lune, l'amour, tou-te-s se sont trouvé-e-s. Les corps et les âmes, enlacé-e-s, enfin s'unissent.

Quand des siècles et des ères seront passé-e-s, que ne resteront sur la terre stérile que nos ruines et nos souvenirs, à demi effacé-e-s, le soleil et la lune toujours s'aimeront, de temps en temps seulement embrassé-e-s. Un instant fugace, il-elle-s se retrouveront dans un coin de ciel et, une fois les météores et les astéroïdes bordé-e-s, se souviendront de leur jeunesse. (Mais ni des hommes, ni des femmes, qu'il-elle-s n'auront pas remarqué-e-s.)

Comme tous les couples, lui vieilli, elle usée, tous les deux fatigué-e-s, il-elle-s reviendront se chauffer le cœur à l'heure de leurs premières amours. Qu'elles étaient belles ! Qu'il-elle-s étaient beaux-elles ! Un seul nuage, une seule nuée, inopportun-e-s, viendront leur sourire troubler : toutes ces phrases, tous ces mots, qui alors par des tirets furent démembré-e-s.

vendredi 15 juillet 2011

Identité française

La musique qui marche au pas, cela ne me regarde pas.C'est joliment dit, mais ce n'est pas de moi : c'est de Brassens, qui n'était pourtant pas norvégien. Eva Joly a proposé de supprimer le défilé militaire du 14 juillet. Pas le 14 juillet, notez bien : juste le défilé militaire. Aussitôt, la droite et la gauche de lui tomber dessus : elle n'y pense pas, cette norvégienne ! elle ne comprend pas la France ! et le lien séculaire entre le peuple français et son armée !

Deux choses, si vous permettez.

Primo, soyons très net, voilà bien un sujet dont je me moque. Mais, dans le même temps, je ne vois pas de problème à l'aborder. Le défilé du 14 juillet, ce n'est ni mon quotidien de bobo, ni celui de la France qui travaille : ce quotidien, les 364 autres jours, doivent plutôt être emplis de chômage, de pouvoir d'achat, de retraites, etc. Mais, après tout, la politique, ce n'est pas que parler du quotidien : ce peut être un espoir, une vision, une direction commune. Qu'y a-t-il de choquant à vouloir que notre futur ne soit pas lié à notre armée,  ni dicté par elle ? C'est bien une question qui ne me fait pas rougir. C'est autre chose que de ce demander si notre avenir peut se faire sans l'étranger, soit dit en passant. Ce lien avec l'armée, en 1870, évidemment ; en 1918, bien sûr ; en 1945, admettons. Mais aujourd'hui ? Je n'ai pas la réponse, mais la question peut se poser.

Secundo, surtout, les mêmes qui nous disent aujourd'hui qu'Eva Joly ne comprend pas l'âme française, car elle est norvégienne, ces mêmes sont ceux qui nous ont infligé un débat sur l'identité nationale, les mêmes qui s'inquiètent de la binationalité, les mêmes qui restreignent le droit d'asile et rejettent à nos frontières des étrangers devenus nos voisins. Tout français que je suis, je ne comprends pas : mon lien à l'armée n'est rien devant mon lien à la devise de la République. Liberté, Egalité, Fraternité. Y pensaient-ils, à la France, ces hypocrites, tandis qu'ils bafouaient la noblesse de ces quelques mots ?

Eva Joly n'a peut-être pas une grande expérience des valeurs françaises, pour reprendre les mots ignobles de François Fillon. C'est pourquoi peut-être ces valeurs lui sont encore plus fraîches et plus présentes à l'esprit. Elles ne sont pas encore usées par trop de routine, de compromission et de médiocrité.

samedi 11 septembre 2010

Pourquoi je déteste C.

Ce que disent les sauvages : la politesse n'est qu'une convention. De même, ce que disent les barbares : le langage n'est qu'un outil. Bandes d'ânes, hordes de crétins ! Qu'un outil ! Comme le feu, l'archet et le pinceau, rien de moins. Qu'un outil... Les chimpanzés vident les fourmilières comme on récure un pot de glace, tirant d'un bâton une cuillère : on s'émerveille. Qu'ils sont intelligents : ils créent des outils ! (Et encore, ce n'est rien : les aigles utilisent des philosophes comme ouvre-boîtes pour faire de la soupe de tortue.) Un bâton, pensez-vous ! admirable ; mais le langage ? rien qu'un outil. Le naturalisme fait des ravages. Rien qu'un outil, mais pour penser, pour sentir, pour aimer, pour toucher, pour transmettre, pour rêver, pour souffrir, pour pleurer, pour rire, pour tuer et pour mourir. Rien qu'un outil.

Je vous vois venir, se disent-ils. Le vieux con vieuxconne : à bas les smileys, à bas le progrès. Vivent la stase, l'embaumement, la momification. Qui trop embrasse finalement étouffe. Deux objections : tout mouvement n'est pas progrès, le maintien vaut mieux que la régression.

Et une troisième pour les conservateurs, à l'opposé : altérer n'est pas dégrader. Quand Michel Tremblay fait entendre pour la première fois du joual dans ses écrits, il ne profane pas le français. Il l'époussette, le décrasse à grande eau, lui redonne ses couleurs. Conservation contre restauration. Sous la patine du français de Paris, ancienne et respectable, qu'on avait fini par prendre pour la chose même, la langue étouffait : débarrassée de la croûte, surgit une Joconde, la grosse femme d'à-côté, elle est enceinte. Voilà la vie.

Pourquoi râle-t-il, alors ? Parce que je déteste C. et que j'ai enfin compris pourquoi. C'est ce que j'essaie de vous dire.

Je n'essaie d'ailleurs pas de me justifier, notez-bien. Je déteste C. et je m'en trouve très bien. Ce garçon ne m'a jamais rien fait ; nos contacts sont rares, courts et circonscrits ; je le connais à peine. Aucune raison, donc, à ce que je ne le déteste pas : aussi injuste, aussi pétrie de préjugés, aussi gratuite puisse être ma hargne, elle ne lui risque aucun inconfort. L'amour du ver de terre pour l'étoile est tragique, mais la haine de la lune pour le moustique ? Indifférente. Pour autant, je suis assez heureux de savoir enfin pourquoi je déteste C.

Je grogne parfois d'entendre la jeunesse faire rimer bigoudi et Mouloudji, mais que m'importe ? L'usage m'accroche l'oreille, habituée à d'autres musiques, mais quoi ? Si cette prononciation est sincère... Ce que je déteste chez C. c'est qu'il écrit volontairement mal. Par bouffonnerie, il écrabouille les mots, leur inflige des orthographes drolatiques. Pour assaisonner des phrases fades, il ponctue trop comme un mauvais cuisinier qui abuserait du poivre. Cinq points d'exclamation, la marque d'un esprit malade, écrit Terry Pratchett. Une circonstance atténuante serait l'incompétence ou l'idiotie, mais non : je soupçonne C. d'intelligence et il sait certainement écrire.

Une explication, peut-être : C. est obsédé par l'apparence de la jeunesse. D'où son style : Jennifer, treize ans, encre fuchsia et petits cœurs sur les i.

Le langage souffre au passage. Mais, après tout, ce n'est jamais qu'un outil.

samedi 3 février 2007

Quarantaine

Un auditorium n'est pas un sanatorium.

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