Petit chosier

Brimborions, babioles et bidules
Par Romain T. et Fabrice D.

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Tag - Georges Simenon

Fil des billets

samedi 17 septembre 2011

Lettres à Maricou

Certains journalistes semblent des insectes xylophages qui ne sauraient s'éloigner trop de leur marronnier : ils se font termite pour explorer l'immobilier, scarabée doré pour approcher les riches, bête-à-bon-dieu pour contrecarrer les francs-maçons. Mais les métaphores sont trop dangereuses pour les manier à la légère : le journaliste en vermine, c'est le rêve de tous les exterminateurs. Disons donc que certains vont à la facilité.

Ma facilité, c'est Vialatte : c'est le nord que suit le pigeon, l'aimant auquel se colle la limaille, le beau meuble sous lequel roule la poussière. Plus qu'une facilité, un confort : les phrases de Vialatte, ce sont ces poêles auxquels Maigret passe sont temps à se coller ; son lyrisme ces fines à l'eau, dont il s’enivre.

Il y avait longtemps qu'on n'avait pas parlé de Vialatte ici.

Je referme ses Lettres à Maricou. Comme j'ai hésité à l'ouvrir, ce petit livre si joli ! Tout ceci est si compliqué, sous des abords si simples : on devrait, croit-on, se tenir aux écrits des écrivains, aux romans des romanciers, aux poèmes des poètes. Les grandes lignes sont là. Mais tous ces romans qu'il a laissés inédits, ne peut-on pas les lire eux aussi ? Il était journaliste, on lit ses chroniques. Auvergnat, on lit son Auvergne absolue. À force de tirer sur le fil, tout le vêtement vient et révèle des endroits plus intimes. On se convainc qu'une correspondance d'écrivains est toujours de la littérature, ou au moins un à-côté suffisamment proche pour justifier l'intrusion d'un lecteur. Mais Maricou n'était pas écrivain ! Les lettres à Maricou ne sont pas celles à Pourrat : l'une charnue, l'autre barbu, Vialatte remarquait ces nuances. Ce sont les lettres d'un amoureux de vingt-trois ans ! Comment oser les lire ?

Je les ai lues pourtant et j'ai bien fait, car Vialatte amoureux reste Vialatte. Fantaisiste : Henriette Maricou y est tantôt Yetto, tantôt mon vieux Maricou. Provincial : dès la deuxième lettre paraît l'adjectif sous-préfectoral. Inattendu : je vous aime comme un veau. Et poétique, lettré, triste. Son rire semble toujours cacher comme une douleur et, quand il pleure enfin, il continue d'en rire.

Vialatte, écrivain notoirement méconnu, chroniqueur de génie, aura donc marqué un genre mineur de plus : la correspondance d'amour non réciproque.

jeudi 8 septembre 2011

Romans historiques

Des contrées lointaines, des époques reculées, voilà ce que cherchent certains lecteurs. Qu'ils aillent donc à Concarneau dans les années cinquante ; qu'ils lisent donc Le Chien Jaune de Simenon.

Concarneau, où je n'ai jamais mis les pieds, qui n'est pas une sous-préfecture, est une terre battue par les vents, où la nuit semble permanente, que la pluie détrempe. Un animal mystérieux y rôde qui effraie des autochtones idiosyncratiques : un médecin sans patient, des bourgeois ruinés, des notables volages. À l’Hôtel de l'Amiral, on prend une bière dans l'après-midi, un pernod avant de dîner, un calvados après.

On n'imagine pas l'exotisme des années 50. Pas de voiture, sinon pour s'y faire assassiner : Maigret marche à toute heure et par tout temps. Pas de technologie, ou si peu : seul l'hôtel a l’électricité, les maisons s'éclairent à la lampe à pétrole. Pas de communication : Maigret ne téléphone jamais lui-même, on lui passe des appels, on parle pour lui à l'opératrice. Pas de télévision : on passe la soirée au restaurant de l'hôtel, le dimanche matin à la messe, les scènes de crimes égayent le quotidien.

Mais ces absences choquent moins que ces mœurs aujourd'hui disparues. Toute cette domesticité, humble et terne, qui contraste tant avec la petite bourgeoisie : Maigret qui tutoie spontanément la serveuse de l'hôtel ; ces médecins, ces journalistes, ces artisans, qui tous ont une bonne ; ce bourgeois désargenté qui cire lui-même ces chaussures tous les soirs pour laisser penser qu'on le fait pour lui. Et les femmes, qui sont toujours la femme de quelqu'un : elles sont bourgeoises, elles sont maîtresses de maison ; elles tiennent la caisse de la boucherie de leur mari. Quelle alternative ? Serveuse ou fille commune, du pareil au même, que les clients troussent et que Maigret tutoiera. Ce rapport décomplexé à l'alcool, enfin : Maigret boit toute la journée, se fait monter des bières au bureau, s'accoude au bar à côté des suspects et trinque avec eux.

Ont-elles seulement existé, ces années 50 ou sont-elles propres à Simenon ? Elles ne nous sont pas moins lointaines que le Moyen-Âge de Druon.

Un souvenir de mon enfance me les rend pourtant chères. Ce temps suspendu, terne et étouffé, c'est celui de mon arrière-grand-mère qui, sans le sou, à quatre-vingts ans passés, cachait des bonbons sous le coussin de sa chaise, de peur de manquer, et ressassait, encore et encore, les quarante sous et les deux draps que sa bonne lui avait un jour volés.