Petit chosier

Brimborions, babioles et bidules
Par Romain T. et Fabrice D.

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Tag - Terry Pratchett

Fil des billets

samedi 11 septembre 2010

Pourquoi je déteste C.

Ce que disent les sauvages : la politesse n'est qu'une convention. De même, ce que disent les barbares : le langage n'est qu'un outil. Bandes d'ânes, hordes de crétins ! Qu'un outil ! Comme le feu, l'archet et le pinceau, rien de moins. Qu'un outil... Les chimpanzés vident les fourmilières comme on récure un pot de glace, tirant d'un bâton une cuillère : on s'émerveille. Qu'ils sont intelligents : ils créent des outils ! (Et encore, ce n'est rien : les aigles utilisent des philosophes comme ouvre-boîtes pour faire de la soupe de tortue.) Un bâton, pensez-vous ! admirable ; mais le langage ? rien qu'un outil. Le naturalisme fait des ravages. Rien qu'un outil, mais pour penser, pour sentir, pour aimer, pour toucher, pour transmettre, pour rêver, pour souffrir, pour pleurer, pour rire, pour tuer et pour mourir. Rien qu'un outil.

Je vous vois venir, se disent-ils. Le vieux con vieuxconne : à bas les smileys, à bas le progrès. Vivent la stase, l'embaumement, la momification. Qui trop embrasse finalement étouffe. Deux objections : tout mouvement n'est pas progrès, le maintien vaut mieux que la régression.

Et une troisième pour les conservateurs, à l'opposé : altérer n'est pas dégrader. Quand Michel Tremblay fait entendre pour la première fois du joual dans ses écrits, il ne profane pas le français. Il l'époussette, le décrasse à grande eau, lui redonne ses couleurs. Conservation contre restauration. Sous la patine du français de Paris, ancienne et respectable, qu'on avait fini par prendre pour la chose même, la langue étouffait : débarrassée de la croûte, surgit une Joconde, la grosse femme d'à-côté, elle est enceinte. Voilà la vie.

Pourquoi râle-t-il, alors ? Parce que je déteste C. et que j'ai enfin compris pourquoi. C'est ce que j'essaie de vous dire.

Je n'essaie d'ailleurs pas de me justifier, notez-bien. Je déteste C. et je m'en trouve très bien. Ce garçon ne m'a jamais rien fait ; nos contacts sont rares, courts et circonscrits ; je le connais à peine. Aucune raison, donc, à ce que je ne le déteste pas : aussi injuste, aussi pétrie de préjugés, aussi gratuite puisse être ma hargne, elle ne lui risque aucun inconfort. L'amour du ver de terre pour l'étoile est tragique, mais la haine de la lune pour le moustique ? Indifférente. Pour autant, je suis assez heureux de savoir enfin pourquoi je déteste C.

Je grogne parfois d'entendre la jeunesse faire rimer bigoudi et Mouloudji, mais que m'importe ? L'usage m'accroche l'oreille, habituée à d'autres musiques, mais quoi ? Si cette prononciation est sincère... Ce que je déteste chez C. c'est qu'il écrit volontairement mal. Par bouffonnerie, il écrabouille les mots, leur inflige des orthographes drolatiques. Pour assaisonner des phrases fades, il ponctue trop comme un mauvais cuisinier qui abuserait du poivre. Cinq points d'exclamation, la marque d'un esprit malade, écrit Terry Pratchett. Une circonstance atténuante serait l'incompétence ou l'idiotie, mais non : je soupçonne C. d'intelligence et il sait certainement écrire.

Une explication, peut-être : C. est obsédé par l'apparence de la jeunesse. D'où son style : Jennifer, treize ans, encre fuchsia et petits cœurs sur les i.

Le langage souffre au passage. Mais, après tout, ce n'est jamais qu'un outil.

samedi 9 janvier 2010

D'un vice à l'autre

Écrire un blog, c'est très exactement comme arrêter de fumer. On s'y jette plein d'espoir lorsqu'une nouvelle année approche que l'on veut traverser la tête haute. Les premiers jours sont exaltants mais, très vite, les tentations deviennent trop fortes. Un jour, on craque : on a une idée de billet, mais il y a Nicky Larson à la télévision. Avec Jacky Chan. On se doute bien que ce n'est qu'un prétexte, que l'envie n'y est plus, mais on se jure que ce n'est l'affaire que d'un soir. On écrira ce billet le lendemain, ce n'est pas un drame. Le lendemain devient le surlendemain ; les jours deviennent des mois ; et le blog, une jachère. Les commentateurs qu'on aimait tant, malgré leurs smileys, ne s'arrêtent plus que de temps en temps pour déplorer le temps qui passe. Ils laissent quelques mots, comme des chrysanthèmes sur une tombe.

Pour éviter cela, le blogueur ruse, le blogueur s'amuse, le blogueur se force à ne pas s'ennuyer : tel écrit ses billets sur papier et publie les photos de sa graphomanie ; tel autre ouvre un blog, puis un autre, peut-être d'autres encore qu'il nous cacherait ; tel dernier semble avoir renoncé. La toile, qui n'oublie rien, persiste à ouvrir les portes de ces maisons ou personne n'entre plus.

Ce blog-ci va essayer de renaître, sous un nouveau nom et sous de nouvelles couleurs. Ether, c'était un joli nom (merci Pico de me l'avoir trouvé !), mais c'était un nom choisi par défaut. Comme la charte graphique, d'ailleurs : quand on ne pense pas rester dans une maison, on n'en change pas la tapisserie. Eh ! bien, faisons mentir l'entropie, forçons le destin : quelques heures de travail et la peinture est quasi fraîche, désormais. Il reste sans doute quelques finitions de-ci de-là pour qu'Internet Explorer se sente aussi chez lui.

Ayant désormais une idée assez claire de ce que ce blog peut être, je peux lui choisir un titre. Et une figure tutélaire, du même coup : Alexandre Vialatte avait son Grand Chosier, je m'en suis aménagé un petit. Un bric-à-brac de métaphores bancales, de rythmes ternaires et de brimborions. En noir sur blanc, avec des lettrines rouges.

Terry Pratchett dit que tout le monde veut avoir écrit. Le difficile étant d'écrire, tous les jours, un peu. Au travail, donc.