Petit chosier

Brimborions, babioles et bidules
Par Romain T. et Fabrice D.

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Tag - vieux-connisme

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lundi 13 septembre 2010

Si, à quarante ans, tu n'as pas...

Sonnez synthétiseurs, résonnez trompettes : pression vérifiée, turbine activée, autopilote enclenché... Quelque part dans la Vallée de la Mort, un rocher de carton-pâte se creuse ; dans un rugissement mécanique, Supercopter décolle, fonce vers l'horizon, se dissout dans la lumière. Tant de technologie m'émerveillait : la cabine était pressurisée ; le gros bouton rouge passait en mode turbo ; un simple commutateur rendait l'hélicoptère complètement furtif. Je riais de ma naïveté passée : astéro-haches, cornofulgure, transmutation... Comment avais-je pu croire à ces bêtises !

Les filles de la classe étaient amoureuses de Stringfellow Hawke que jouait Jan-Michael Vincent. Je lui préférais la trogne de Santini. Je lui suis  resté fidèle : dans Les Septs Mercenaires, j'aperçois à peine Steve McQueen ; dans New York 1997, j'ignore presque Kurt Russel torse nu. Mais Ernest Borgnine...

Et puis il y avait Angel, qui me semblait l'incarnation de l'élégance : une limousine blanche dont la porte s'ouvrait, une cane blanche qui touchait le sol, puis un mocassin blanc, et il descendait, tout vêtu de blanc, un bandeau blanc sur l'œil. Je l'admirais tant qu'au collège le frère de Magalie Vidal, qui était plus vieux que nous, m'avait surnommé Blanche Neige et voulait me tabasser. Dans mes cauchemars prompts à virer au rêve, Hawke et Santini volaient (littéralement) à mon secours, tandis que, dans la cour de récréation, Céline et Coline prêtaient main forte à Magalie pour me protéger de ce butor.

Mon admiration pour Angel se heurtait pourtant à une limite : un détail, toujours, le ternissait. Sitôt descendu de voiture, il faisait signe à son escorte, une belle dame en blanc qui conduisait la limousine blanche. Elle ouvrait alors le coffre et en tirait une sorte de petite valise, de la taille d'une batterie de voiture, au sommet de laquelle trônait un combiné téléphonique. (Blanc, le combiné téléphonique.) Et Angel téléphonait à Supercopter.

Ce coup de téléphone, qui souvent pouvait sauver une vie, me le rendait un peu péteux, Angel : ce téléphone blanc, je le trouvais un peu tape-à-l'œil, pour tout dire. Sérieusement, qui de normal peut bien avoir besoin de téléphoner en sortant de voiture ? Était-ce tellement urgent qu'il ne pouvait pas marcher jusqu'à une cabine publique, comme tout le monde ?

Tout ceci m'est revenu en tête tout à l'heure, en raccrochant à la sortie du métro : j'ai trente ans, je n'ai pas de limousine blanche et je ne m'habille plus tout en blanc. Mais je suis, et mon ange est, et tous mes amis sont des péteux. Comme Angel.

samedi 11 septembre 2010

Pourquoi je déteste C.

Ce que disent les sauvages : la politesse n'est qu'une convention. De même, ce que disent les barbares : le langage n'est qu'un outil. Bandes d'ânes, hordes de crétins ! Qu'un outil ! Comme le feu, l'archet et le pinceau, rien de moins. Qu'un outil... Les chimpanzés vident les fourmilières comme on récure un pot de glace, tirant d'un bâton une cuillère : on s'émerveille. Qu'ils sont intelligents : ils créent des outils ! (Et encore, ce n'est rien : les aigles utilisent des philosophes comme ouvre-boîtes pour faire de la soupe de tortue.) Un bâton, pensez-vous ! admirable ; mais le langage ? rien qu'un outil. Le naturalisme fait des ravages. Rien qu'un outil, mais pour penser, pour sentir, pour aimer, pour toucher, pour transmettre, pour rêver, pour souffrir, pour pleurer, pour rire, pour tuer et pour mourir. Rien qu'un outil.

Je vous vois venir, se disent-ils. Le vieux con vieuxconne : à bas les smileys, à bas le progrès. Vivent la stase, l'embaumement, la momification. Qui trop embrasse finalement étouffe. Deux objections : tout mouvement n'est pas progrès, le maintien vaut mieux que la régression.

Et une troisième pour les conservateurs, à l'opposé : altérer n'est pas dégrader. Quand Michel Tremblay fait entendre pour la première fois du joual dans ses écrits, il ne profane pas le français. Il l'époussette, le décrasse à grande eau, lui redonne ses couleurs. Conservation contre restauration. Sous la patine du français de Paris, ancienne et respectable, qu'on avait fini par prendre pour la chose même, la langue étouffait : débarrassée de la croûte, surgit une Joconde, la grosse femme d'à-côté, elle est enceinte. Voilà la vie.

Pourquoi râle-t-il, alors ? Parce que je déteste C. et que j'ai enfin compris pourquoi. C'est ce que j'essaie de vous dire.

Je n'essaie d'ailleurs pas de me justifier, notez-bien. Je déteste C. et je m'en trouve très bien. Ce garçon ne m'a jamais rien fait ; nos contacts sont rares, courts et circonscrits ; je le connais à peine. Aucune raison, donc, à ce que je ne le déteste pas : aussi injuste, aussi pétrie de préjugés, aussi gratuite puisse être ma hargne, elle ne lui risque aucun inconfort. L'amour du ver de terre pour l'étoile est tragique, mais la haine de la lune pour le moustique ? Indifférente. Pour autant, je suis assez heureux de savoir enfin pourquoi je déteste C.

Je grogne parfois d'entendre la jeunesse faire rimer bigoudi et Mouloudji, mais que m'importe ? L'usage m'accroche l'oreille, habituée à d'autres musiques, mais quoi ? Si cette prononciation est sincère... Ce que je déteste chez C. c'est qu'il écrit volontairement mal. Par bouffonnerie, il écrabouille les mots, leur inflige des orthographes drolatiques. Pour assaisonner des phrases fades, il ponctue trop comme un mauvais cuisinier qui abuserait du poivre. Cinq points d'exclamation, la marque d'un esprit malade, écrit Terry Pratchett. Une circonstance atténuante serait l'incompétence ou l'idiotie, mais non : je soupçonne C. d'intelligence et il sait certainement écrire.

Une explication, peut-être : C. est obsédé par l'apparence de la jeunesse. D'où son style : Jennifer, treize ans, encre fuchsia et petits cœurs sur les i.

Le langage souffre au passage. Mais, après tout, ce n'est jamais qu'un outil.

mercredi 3 mars 2010

Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaargh !

Je fais amende honorable. Je bats ma coulpe. Je me flagelle avec des orties. Bio, les orties. J'ai été méchant, j'ai mérité ma punition, j'expie ma faute. Le libéralisme me possédait, ma propre liberté m'enivrait, l'Humanité pleurait mon égoïsme. Cesse de pleurer, pauvre Humanité, je me repens, je suis à tes côtés. Pour peu qu'un souhait, un seul, me soit exaucé. J'ose à peine le formuler, la honte m'étreint, je suis mortifié. Est-ce que je pourrais... Non, c'est trop affreux. Comment osé-je ? Mais pourtant si. Il faut que cela soit dit.

N'ont-ils que ça à faire tous ces gens altruistes ? Comment ont-ils pu accumuler toutes ces saloperies, toutes ces conneries, toutes ces babioles et ces brimborions ? Et il faudrait recycler ça ! Mais qu'on brûle le tout ! Je m'engage à capter le dioxyde de carbone émis moi-même, tout seul, dans mes petits poumons asthmatiques ! Mais par pitié, que cela cesse ! Laissez-moi, ne me sauvez pas, oubliez mon âme, à d'autres la rédemption, confisez-moi dans mon égoïsme et mon irresponsabilité ! Gardez le DVD de Michèle Bernier ! (Elle ne m'amuse pas et je n'aimais pas le professeur Choron, non plus. Cela fait du bien de le dire.) Gardez votre collection de porte-clefs ! Gardez votre tondeuse, vous qui êtes à Brindas ! Laissez-moi, je vous en prie !

Quatre-cent-cinquante courriels en trois jours. Combien de kilowatts pour router, pour résoudre, pour transférer, pour stocker, pour afficher tout ça ? Combien de temps pour les écrire ? Combien de temps perdu à ne même pas les lire, à les voir passer, à les ignorer, à les supprimer ? Combien de dioxyde de carbone émis, combien de bébés phoques tués pour un déguisement offert à Gerland ?

J'ai bien compris que je devais adhérer à une AMAP. Promis, j'y pense. Mais puis-je, s'il vous plaît, en toute humilité, en toute fraternité, me désinscrire de Freecycle ?

samedi 27 février 2010

Doryphores

Quand j'étais enfant, il y avait des doryphores dans le jardin de mon grand-père ; plus tard, il y en eut aussi dans mes versions grecques, même si Mme Massaux insistait pour qu'on les appelle des porte-lances ; il y en a encore plein les musées, sur les ventres des outres ou dans les fonds des assiettes. Pourtant, ni dans les musées, ni dans les textes antiques, ni dans le jardin de mon grand-père, il n'y avait de pommes de terre. Pauvres bestioles : leur réputation doit être exagérée. Les maraîchers nous les présentent comme des monstres gloutons ; les hellénistes, comme des guerriers sanguinaires. Moi, de tout temps, je les ai trouvés très jolis, tous : les doryphores des musées me troublaient, avec leurs jambes élancées, leurs poitrail puissant et ce que Homère appelait leur lance virile ; ceux des guerres antiques apportaient une touche de fantaisie à nos traductions et enrageaient Mme Massaux ; ceux du jardin étaient costumés comme au théâtre, dans leurs carapaces de velours rayé d'or.

De cette époque, sans doute, date mon goût pour chercher la petite bête. Aux doryphores, les patates — je me charge des haricots.

samedi 20 février 2010

Thesaurus

On équeute les haricots verts, on écosse les petits pois, on égraine le raisin ; on décortique les noix, on monde les amandes, on dénoyaute les cerises ; on concasse les tomates, on hache la viande, on presse les fruits ; on cisèle la ciboulette, on pile l'ail, on émince les oignons ; on plume la volaille, on pare le poisson, on débite un bœuf ; on vide le poisson, on désosse la caille, on écaille les œufs ; on faisande le gibier, on vieillit le vin, on affine le fromage ; on allonge la sauce, on réduit le jus, on déglace la marmite ; on abaisse la pâte, on réserve l'appareil, on beurre le moule à manqué.

Ce que c'est, tout de même, d'aimer le jargon et la grammaire ! Ce moule à manqué ! Voilà qui est aussi douloureux que plaisant. Et s'il n'y avait que ça ! Il y a la duxelles de champignon, singulière à force d'avoir l'air plurielle : c'est le cuisinier du marquis d'Uxelles qui l'a inventée — c'est là qu'est l's.

J'aime tout ce que ce jargon, ces verbes qu'on ne croise que dans les livres de cuisine et qui nous laissent désemparés. Julian Barnes en a fait tout un chapitre : hacher finement les oignons ou les ciseler grossièrement, quelle différence ? (C'est dans The Pedant in the Kitchen, que je vous conseille évidemment.) J'aime tout ce jargon car, passée l'inquiétude de mal faire, on y voit la marque d'une technique, d'un art, d'une culture. On ne comprends finement que ce qu'on nomme finement : en l'occurrence,  le passage, le lien d'une nature brute à la sophistication d'une blanquette de veau.

C'est le lien, le passage, le verbe, qui importent : lorsque le poisson est livré cubique, et le fromage carré, et la mayonnaise en tube, la nature s'éloigne jusqu'à disparaître tandis que le vocabulaire s'appauvrit. Salade, tomates, oignons ?