Petit chosier

Brimborions, babioles et bidules
Par Romain T. et Fabrice D.

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Accords et désaccords

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samedi 1 décembre 2012

Mettre de l'huile de coude

C'est d'une saleté repoussante !

 

Des arômes de fruits rouges bien murs

Souffler dans les bronches

Envoyer du pâté

Avoir deux mains gauches

A qui mieux mieux

Manger à s'en faire péter la sous-ventrière

Se jeter dessus comme la pauvreté sur le monde

Un pull dégueulis de framboise

Ne pas casser trois pattes à un canard

samedi 20 octobre 2012

Y a-t-il de bons auteurs de science-fiction ?

Ou encore : n'y a-t-il que de mauvais films d'horreur ?

Un peu de provocation dans ces questions, qui sont en fait mal posées. On discutait hier et on essayait de savoir pourquoi certains genres avaient moins les honneurs que d'autres, voire pouvaient être totalement pris de haut ou ignorés par la critique ou une bonne partie du public. On peut s'en attrister, mais c'est certainement dû à ce que les œuvres qui relèvent de ces genres sont mauvaises. Ce n'est pas la faute à un genre en particulier, mais aux seuls réalisateurs, écrivains, artistes.

Il me semble que quel que soit le supposé genre d'une œuvre, si l’œuvre est bonne elle survit, elle est regardée, lue, écoutée. La question de son genre n'a rien à voir avec sa qualité. Madame Karsenti, une de mes vénérées professeurs de collège, quand ses élèves lui parlaient de films d'action, répliquait du tac-au-tac que l'action n'est pas une valeur parce que dans tous les films (ou presque) il y a une action. Objection : certains films, par exemple, ne seraient compréhensibles que parce qu'ils s'inscrivent dans un genre particulier, ou qu'ils en empruntent les codes. Chinatown, de Polanski, serait ainsi un chef d’œuvre mais on ne s'en rendrait compte que parce que l'on sait que c'est un hommage au film noir d'une grande finesse. Qu'il soit un tel hommage est pourtant un incident. Si le film est bon c'est assurément qu'il l'est avant tout selon des critères purement cinématographiques : beaux plans, ajustement du scénario aux images, musique en accord avec l'ensemble, excellent jeu des acteurs, etc.

En poussant à l'extrême, on pourrait considérer qu'il n'y a pas de genre. A l'écrit, il y a bien des classifications très générales comme roman, théâtre, poésie. Mais les bons textes dépassent ses catégories. Je sais que le théâtre de Victor Hugo relève du drame romantique, héritier du théâtre de Shakespeare et qui respecte des tas de codes, où l'on meurt violemment sur scène, etc. Cela peut m'aider dans certains cas à donner plus de sens à ce que je lis, mais cela ne permet pas d'en déterminer la valeur. Je sais que Ruy Blas est meilleur que n'importe quel poème de Sully Prudhomme, et ce n'est pas dû à ma connaissance ou méconnaissance de la poésie française autour de 1900. Bérénice est un petit bijou parce que Racine y a mis des vers sublimes qui en font la grandeur ; et pour un Racine, combien compte-t-on d'auteurs de pièces de théâtre du même siècle, qui employaient les mêmes mots, écrivaient en alexandrins, respectaient la règle des trois unités ? Il existe de bons auteurs de science-fiction mais ce n'est pas parce qu'ils écrivent de la science-fiction. C'est parce qu'ils écrivent bien.

Si ces auteurs sont moins connus que d'autres (encore que), sont méprisés, considérés avec condescendance, je vois deux explications possibles.

La première est qu'ils sont mauvais. Représentant une part modeste de l'ensemble des écrivains du monde, il serait tout à fait concevable statistiquement que malheureusement il n'y en ait pas un seul de bon... ou que les bons écrivent autre chose.

La deuxième explication est que le goût d'une époque ne constitue pas un bon jugement. On ne juge jamais bien les hommes si on ne leur passe les préjugés de leur temps ; cela vaut bien pour un film ou un livre. On peut tout à fait préférer Le Chevalier avare de Rachmaninov à Dido and Aeneas de Purcell, or le premier est assez calamiteux, le deuxième un chef d’œuvre : c'est un jugement qui ne dépend pas de mon goût personnel, on dirait presque que c'est un fait. Le problème est qu'il faut alors attendre longtemps pour juger, pour s'extraire d'un contexte, de l'esprit du temps, et même en attendant rien n'est jamais totalement absolu... Dans leur Dictionnaire de la bêtise, Jean-Claude Carrière et Guy Bechtel n'ont pas fait autrement, refusant d'inclure des citations trop récentes. Cela n'empêche pas que s'ils refaisaient un tel dictionnaire aujourd'hui ils en modifieraient sûrement le contenu.

Peut-être aujourd'hui pense-t-on pis que pendre de la science-fiction, peut-être demain ne lira-t-on plus les dizaines d'essais écrits par nos hommes politiques et journalistes qui paraissent chaque année. Si nous ne le faisons pas ou ne savons pas le faire, la postérité fera le tri.

jeudi 30 août 2012

Pronom indéfini

 

(Fablette)

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mercredi 30 mai 2012

La Polonaise-Fantaisie opus 61, de Frédéric Chopin

Ce morceau, avec sa troisième sonate, est certainement l'un des plus ambitieux de Chopin. Ces 12 ou 13 minutes de musique merveilleuse gagneraient comme la Berceuse à être plus entendues.

La forme de la pièce paraît très libre. On ne sait pas trop dans quelle direction la musique va, à la différence d'un premier mouvement de symphonie de Mozart par exemple, alors qu'elle est en réalité maîtrisée de bout en bout. Les arpèges du début, qui montrent dans l'aigu pianissimo, ne sont qu'une prémonition voilée de la joyeuse conclusion. On a l'impression que Chopin passe 10 minutes à préparer les grands accords de la fin de sa pièce, procédant par digressions, faisant passer l'auditeur par de multiples paysages sonores qu'il découvre au fur et à mesure. C'est très plaisant, on ne s'ennuie jamais.

On entend le rythme de polonaise tout au long de la pièce, qui se métamorphose en épousant les idées mélodiques du compositeur. La polonaise n'est pas en trois parties strictes comme la plupart des autres polonaises de Chopin (un passage avec le thème principal souvent agité, puis un passage lent et plus calme, et nouveau passage avec le thème principal) : polonaise-fantaisie, nous dit-on. C'est un peu comme les mouvements fugato dans les dernières sonates de Beethoven, qui ne sont jamais vraiment des fugues respectant scrupuleusement les canons de cette forme musicale.

Un silence survient, à peu près au milieu de la pièce, que les pianistes font durer plus ou moins longtemps. (Dans la version enregistrée par Maurizio Pollini il n'existe quasiment pas.) Quand la musique reprend, c'est vraiment pour ne plus que chanter jusqu'au bout le thème qu'on entendra forte en conclusion qui, pour ce qui est du rythme, rappelle celui de polonaise de la première partie. Cela reprend tout doucement, renouveau en forme de caresse, et enfle jusqu'aux accords bondissants de la coda, avant de se conclure brièvement. Le thème qu'on ressasse dans cette deuxième partie, l'auditeur l'a comme déduit de l'ambiance de la première partie ; il n'a pas de sentiment de rupture. Comme dans beaucoup de Schubert, il semble que ce thème a toujours fait partie d'un univers intime, qu'on l'a toujours connu, qu'on l'a rêvé...

Les grandes interprétations (choix personnel, est-il besoin de préciser) : Sviatoslav Richter (Melodiya 1976 en public à Moscou, ou Deutsche Grammophon 1962 en public en Italie), les deux pour leur perfection technique, le subtil dosage des atmosphères et par dessus tout leur poésie, jouées comme si c'était inné ; Artur Rubinstein (RCA 1964), pour le jeu classique indémodable du pianiste. Un cran en dessous mais que je pourrais conseiller quand même les yeux fermés : Samson François (EMI 1959), un jeu instinctif très personnel, rhapsodique : assez particulier mais époustouflant, Maurizio Pollini (Deutsche Grammophon 1976), qui aurait pu se lâcher un peu plus. J'attends un jeune artiste qui égalera ses glorieux aînés.

mardi 3 avril 2012

Canaletto n'est pas un grand peintre, mais bon

Giovanni Antonio Canal, dit Canaletto (1697—1768) est un peintre italien, né et mort à Venise. Après deux séjours de plusieurs années à Londres, qu'il a copieusement peinte, il revint à sa ville de naissance, qu'il a plus encore représentée sous toutes ses coutures. On lui doit près de 900 toiles, l'équivalent de la production de Van Gogh.

Si vous voyez un Canaletto, vous les avez tous vus : perspectives parfaites, sens inné de l'ordonnancement des bâtiments dans un paysage urbain, petites vaguelettes d'écume quand il y a de l'eau, nombreux personnages assez stéréotypés. Et pourtant... quelle harmonie se dégage de ses vues de ville ! quelle simplicité, quelle évidence de la construction ! On dirait une sonate de Mozart : on s'ennuie ferme le plus souvent, mais quelle perfection formelle, quel déroulement impeccablement précis de l'histoire qui nous est contée ! Ses plans sont toujours remarquablement étagés. Son sens de la ligne me fait penser à celui du photographe Michael Kenna, l'épure en moins.

La lumière, Canaletto la maîtrise d'une façon simple. Ses ombres sont franches, bien découpées. Prenez cette vue de la Salute. Canaletto n'y déploie pas le mordoré des soleils couchants de Claude Lorrain (1600—1682), mais sa palette d'ombres et de demi-teintes marron est des plus variées. Canaletto n'y expose pas les dégradés pastels si subtils des aquarelles de Turner (1775—1851), comme dans cette vue de la même église vénitienne ; pourtant ses bleus, gris et verts, dans les reflets dans l'eau, dans les cumulo-nimbus qui menacent sur la droite de la toile, sont bien plus transparents que ceux de Turner. Nombre des ciels de Canaletto pourraient être qualifiés de pré-impressionnistes.

Le grand tort de Canaletto, comme de Lorrain d'ailleurs, est le statisme de ses compositions. Ses couleurs un peu tristes, naviguant souvent dans les ocres ou les beiges, manquent de fantaisie. S'ajoute à cela beaucoup de naïveté dans les personnages. Mais ils sont tellement charmants... Ils bougent comme dans les bandes-dessinées de Gibrat, très maladroitement. Canaletto ne devait pouvoir s'empêcher de ponctuer ses belles pierres d'un peu de vie, recherchant la vivacité, pour un résultat final qui apparaît souvent comme factice.

Un peu images d’Épinal, les toiles de Canaletto. Il me parait pourtant qu'au-delà de l'intérêt lié à la technicité, aux couleurs, au pur plaisir du dessin, le peintre témoigne fabuleusement de son temps. De l'état du bâti, bien sûr. De la vie quotidienne et du commerce, malgré les dehors de pacotille. Malgré tout.

jeudi 22 mars 2012

La Part-Dieu

Certains quartiers de Lyon sont architecturalement bien préservés : le vieux Lyon bien sûr, classé au patrimoine mondial de l'UNESCO ; les pentes de la Croix-Rousse, avec leurs immeubles de canuts ; la Presqu’île, particulièrement entre la place Bellecour et la place des Terreaux ; les quais de Rhône, qui alignent leur double rangée de façades magnifiques sur des kilomètres de Perrache à Caluire (avec quelques verrues toutefois : l'horrible Sofitel, certains immeubles des années 1970 ici et là).

D'autres quartiers n'ont pas cette chance. Celui de la Part-Dieu, auquel j'ajoute ses abords à cheval sur les 3e et 6e arrondissements, en est peut-être le plus criant exemple.

Soit une gare, des voies de chemin de fer, un centre commercial, des immeubles de bureau, des immeubles d'habitation et des grands axes de circulation routière. Répartissez le tout dans un carré d'un bon kilomètre de côté, sans vous soucier de grand chose, ni des styles qui jurent ni de beaucoup de questions d'urbanisme comme on l'entendrait aujourd'hui, et vous avez le quartier de la Part-Dieu.

L'endroit est très disparate. La gare, très années 1980, concours sans vraiment de concurrence à ce niveau au titre de plus laide de France. Les immeubles d'habitation au nord du cours Lafayette sont la partie la plus horrible du 6e arrondissement : façades préfabriquées, grandes barres de dix étages ou plus, d'à peu près toutes les couleurs. Les immeubles de bureau sont eux aussi de tous les styles, sans préoccupation d'harmonie (fût-elle minimale) : façades avec plaquage répétitif boîte d’œuf des années 1950 ou 1960, immeubles avec vitres en verre fumé années 1970 tel celui de la Caisse d’Épargne, façades plus classiques mais ternes de toutes époques. A côté de ça, on trouve aussi des immeubles typiquement lyonnais plus élégants de la fin du XIXe ou du début XXe. Témoins, cette belle école maternelle cours Lafayette, face aux Halles de Lyon, ou le non moins bel immeuble en brique noisette et pierre du même côté du cours, un peu plus loin, que je vois de mon bureau. Quelques bâtiments Art déco : le centre de formation de la rue Boileau, la bourse du travail, et bien des immeubles rue Duguesclin par exemple ; quelques perles de style international : les grandes barres 100 Lafayette qu'on jurerait de Le Corbusier (et qui sont classées, leurs détracteurs ne les verront donc jamais par terre), celles qui sont rue du Lac, aux stores colorés qui font penser à un Tetris géant. On croise aussi une pincée d'immeubles plus ou moins modernes, aléatoirement répartis : le nouveau palais de justice (1995), la Tour oxygène (2010), des immeubles d'habitation en construction rue Tête d'Or...

Il semble que le quartier puisse encore vivre des décennies sur un tel rythme, de cet assemblage composite de styles très différents qui renouvelle périodiquement l'un ou l'autre de ses îlots, sans faire corps avec l'existant. A moins que la couverture de la rue Garibaldi ne soit le prélude à des changements plus cohérents. Pour l'instant, la Part-Dieu est notre petit Bruxelles, mais c'est certainement pour ses tares qu'on l'aime.

samedi 25 février 2012

Il y a un problème avec Robert...

Il y a un problème avec Robert Schumann, plus précisément avec ses symphonies : on dit que Schumann orchestre mal. C'est extrêmement pratique pour les critiques de musique : après un concert réussi, on dit que Schumann orchestre mal, X. tord le cou à cette idée reçue ; après un enregistrement raté, on dit que Schumann orchestre mal, ce n'est pas Y. qui prouvera le contraire. À l'inverse, on dit aussi que Nicolaï Rimski-Korsakov orchestre bien. Il est vrai que Rimski orchestre avec le même art que met Jacky à décorer sa Renault Fuego, tout en brillance, en bravoure et en éclat, quand Schumann tiendrait plus du peintre de marines amateur, qui rajoute couche après couche, qui tartine au couteau, qui sculpte la gouache pour rendre les vagues.

Le problème de Schumann, en un mot, est une certaine épaisseur. Trop de cors, trop de trombones, trop de trompettes, trop de vents, trop de tutti, trop de tout, tout le temps.

Il n'est de problème qui n'appelle une solution, et bien des chefs s'y sont frotté. Certains, comme Paul Paray, ont accéléré les tempi, ont brusqué les mouvements, comme on fouetterait une ganache trop épaisse pour l'aérer. D'autres se sont mis en tête de corriger les fautes, ont bidouillé l'orchestration. Gustav Mahler, ainsi, a laissé des symphonies de Schumann qui sonnent comme du Mahler, qui sonnent donc très bien, mais qui ne sont plus de Schumann. Je l'ignorais jusqu'à cette semaine, mais George Szell, aussi, y est allé de sa version : moins de trombones, des cors plus rares, des bois plus présents, des cordes très lyriques — un Schumann qui sonne comme Schubert.

(La tentation est fréquente, de ripoliner l'orchestration de ses prédécesseurs : Rimski-Korsakov, finissant les œuvres de Moussorgski, doublait les contrebasses par les violoncelles, selon l'usage. Ces contrebasses à nu, Rimski les trouvait fautives, quand l'oreille actuelle les trouve modernes. Qui juge de la limite entre la faute et l'originalité ?)

Je ne connais pas les enregistrements de Schumann par Szell (dont je ne raffole guère), mais j'ai découvert son édition dirigée merveilleusement par Guennadi Rojdestvenski. L'Orchestre d'état d'Estonie est irréprochable ; tout est du meilleur goût, tour à tour dansant, tragique ou lyrique ; c'est un Schumann léger et digeste. D'où vient, pourtant, qu'on reste sur sa faim ? J'ai compris tout à coup dans le final de la Quatrième symphonie, où Rojdestvenski n'avance pas : la pâte orchestrale ne prend pas, il doit ralentir pour lui redonner du corps, comme un mauvais gâte-sauce qui rajoute de la farine pour lier une sauce trop clairette.

Alors quoi ? S'il y a un problème avec les symphonies de Schumann, c'est peut-être qu'on n'admette pas que leur son très bizarre est celui qui leur va le mieux.

samedi 11 février 2012

Diverses avaries

Les températures sont fraîches depuis des jours maintenant, à tel point que la Saône est gelée, par endroits, sur presque toute sa largeur. Quelques nuits à moins dix encore et on envisagerait de pouvoir en faire la traversée à pied (sur un coup de folie), avant le dégel et les embâcles à venir, sur ce Saint-Laurent en miniature.

On nous dit de rester chez soi ; on sort tout de même mais pour se retrouver à l'intérieur au plus tôt : vendredi soir, récital de Nicolaï Luganski à l'auditorium. Je passe les raclements de gorge, les étranglements (rengaine de tous les concerts classiques, qui va probablement nous inciter à y aller beaucoup moins), le public français qui parle à haute voix, qui ne sait pas se tenir.

Mais le froid, le froid ! il était dans la salle aussi ce vendredi. Habituellement, le surnombre écrasant de personnes âgées est maintenu dans un cocon étouffant. Là, non. Du coup, défilé de manteaux de fourrure jusque dans la salle. Non que les bourgeoises du sixième abusent usuellement du vestiaire — c'est même plutôt l'inverse : le dernier accord à peine posé, elles fuient la salle de peur d'être ralenties, retenues enfermées, englouties par la foule dévalant les escaliers comme les nuées ardentes dégorgées d'un volcan, ou pire encore — mais le public était vraiment plus fourni en ragondin qu'à l'accoutumée. Ma voisine me couvrait la jambe gauche du sien pendant Chopin.

Plus particulièrement ce soir-là, elles devaient vouloir être aux premières loges pour avoir la griffe de l'artiste qui dédicaçait à l'issue du concert. Le vendredi, l'auditorium doit proposer des tarifs aux étudiants, il y a toujours bien plus de jeunes que les autres soirs. Ils étaient nombreux dans la file à attendre que le pianiste arrive : il s'était changé et avait revêtu une chemise et une veste à carreaux que mon père aurait pu porter dans sa jeunesse seventies. Pendant ce temps la plus parfaite rombière, dondon permanentée et surbijoutée, s'affairait du mauvais côté de la barrière flexible, se disant au fur et à mesure que le monde s'agglutinait que non, elle ne s'abaisserait pas à faire la queue. Je l'ai vue tenter de carotter la centaine de personnes déjà alignée, mais la pauvre n'a pas pu se baisser assez pour passer sous la barrière (très cocasse à voir). Je voudrais lui parler en russe !, me lâcha-t-elle en guise d'excuse, essayant de passer devant les deux gamins de 20 ans devant moi, médusés qu'un vison sur pattes quasi-sphérique essaie de les gruger comme au resto U. Pourquoi ne faites-vous pas la queue en russe ? lui rétorquai-je, suffisamment fort pour que tout le monde entende, bien content de ma bêtise bien sûr inefficace. Dans un geste surhumain, Joséphine-Eugénie, emportant la barrière avec elle au point de faire rappliquer aussitôt le vigile, parvint à se frayer un passage devant les trois personnes devant moi et à poser son programme sur la table. Elle s'excusa (en russe donc) auprès de l'artiste mais elle voulait vraiment lui dire combien son concert était, etc. Il signa et remercia d'un mot, interdit, désolé pour les suivants. Et madame repartit sous les rumeurs râlantes des badauds ayant assisté à la saynète, avec mon mépris le plus vif.

lundi 28 novembre 2011

Je ne vous aime point, Monsieur

Lettre de Jean-Jacques Rousseau à Monsieur de Voltaire

A Montmorency, le 17 juin 1760

[...]

Je ne vous aime point, Monsieur ; vous m'avez fait les maux qui pouvaient m'être les plus sensibles, à moi votre disciple et votre enthousiaste. Vous avez perdu Genève, pour le prix de l'asile que vous y avez reçu ; vous avez aliéné de moi mes concitoyens pour le prix des applaudissements que je vous ai prodigués parmi eux ; c'est vous qui me rendez le séjour de mon pays insupportable ; c'est vous qui me ferez mourir en terre étrangère, privé de toutes les consolations des mourants et jeté pour tout honneur dans une voirie, tandis que vivant ou mort tous les honneurs qu'un homme peut attendre vous accompagneront dans mon pays. Je vous hais, enfin, vous l'avez voulu ; mais je vous hais en homme encore plus digne de vous aimer si vous l'aviez voulu. De tous les sentiments dont mon cœur était pénétré pour vous il n'y reste que l'admiration que l'on ne peut refuser à votre beau génie, et l'amour de vos écrits. Si je ne puis honorer en vous que vos talents, ce n'est pas ma faute. Je ne manquerai jamais au respect que je vous dois, ni aux procédés que ce respect exige.

Adieu, Monsieur.

Citée dans L’Art de l'insulte - Une anthologie littéraire, éditions Inculte.

lundi 17 octobre 2011

Coq à l'âne

Il fut un temps, aux États-Unis d'Amérique, où tous les chefs d'orchestre étaient hongrois. George Szell à Cleveland, Antal Dorati à Minneapolis puis Washington, Eugene Ormandy à Philadelphie, Fritz Reiner puis Sir Georg Solti à Chicago. Ils étaient tous hongrois, sauf ceux qui étaient français, bien sûr : Charles Munch à Boston, Pierre Monteux à San Francisco, Paul Paray à Detroit. Il y avait bien des anglais, aussi, par moment : Sir John Barbirolli est passé à New-York et Leopold Stokowski a parcouru tout le pays. Arturo Toscanini était italien ; Dmitri Mitropoulos, grec ; Serge Koussevitzki, russe ; Bruno Walter, allemand.

Il aura fallu attendre Leonard Bernstein pour voir le premier grand chef américain né aux États-Unis.

*

Leonard Bernstein aura été le premier grand chef d'orchestre né aux États-Unis. Ses professeurs : Fritz Reiner, hongrois, et Serge Koussevitzki, russe. Un de ses condisciples : Dmitri Mitropoulos, grec. Plus tard, ses disciples : Michael Tilson-Thomas, états-unien, Yukata Sado, japonais, etc.

*

Le grand chef allemand Otto Klemperer, qui a eu une vie difficile, qui parce que Juif a dû fuir l'Allemagne alors que sa carrière naissait à peine, qui une fois aux États-Unis dut courir le cachet, qui mit le feu à son lit en fumant dans une chambre d'hôtel, qui tenta d'éteindre l'incendie au whisky, qui connut comme un été indien bien trop tard, ce très grand chef a eu un fils. Celui-ci, Werner Klemperer, est devenu acteur à Hollywood. Il eut une petite célébrité, brièvement, en jouant le Kolonel Kling dans Hogan's Heroes (en français, Papa Schultz). Ce rôle de nazi stupide, rigide et ridicule, il était très content de le tenir : c'était, disait-il en interview, sa vengeance pour les humiliations que sa famille, son père notamment, avaient dû subir.

Nonobstant, Otto Klemperer était un wagnérien hors pair.

*

Laisserait-on entrer tous ces gens chez nous, aujourd'hui, avec leurs noms barbares ?

dimanche 11 septembre 2011

Moeurs adoucies

  • Mieux vaut avoir l'âge de ses artères que l'âge de César Franck. (Erik Satie)
  • Listening to the Fifth Symphony of Ralph Vaughan Williams is like staring at a cow for forty-five minutes. (Aaron Copland)
  • Why is it that whenever I hear a piece of music I don't like, it's always by Villa-Lobos? (Igor Stravinsky)

jeudi 10 juin 2010

And then we came to the end

J'aime le final de la troisième symphonie de Jean Sibelius car il ne finit pas, jusqu'à ce qu'il finisse tout de même. (Beethoven, lui, finit mais n'en finit pas de finir. Un génie différent.) Comme souvent chez Sibelius, un pupitre est sacrifié : dans le final de la deuxième, ce sont les flutes qui répètent, répètent, répètent ces deux mêmes notes, comme des oiseaux obstinés qui ne voudraient pas laisser venir la nuit ; dans la troisième les cordes grattent, frottent, grondent, grattent, frottent, grondent. La symphonie commence comme cela : par les contrebasses qui grommèlent un thème bonhomme, un grand-père à l'air sévère qui chantonne une comptine. Une demi-heure plus tard, le grand-père chante toujours dans sa moustache mais des bourrasques de vents le couvrent parfois : sur le rythme obstiné des cordes, les bois et les cuivres plaquent une mélodie bien plus lente, si allongée qu'elle n'empêche pas l'oreille de se réchauffer au ronronnement des cordes qu'elle ne semble qu'éclairer. (Beethoven, lui, décore ses mélodies lentes de motifs rapides.) À mesure, les accords se font plus riches, mais toujours si épars, si rares, si discrets qu'on ne les remarque qu'à peine : on croit que le ronronnement durera, d'ailleurs il ronronne, et crescendo. Jusqu'à ce qu'à cette absence, puis la cadence et enfin le silence.

Certains chefs laissent deviner la fin, sur la fin : la mélodie des cuivres vainc progressivement les motifs des cordes, le dénouement approche, la cadence nous salue bien poliment. (Bernstein vieux.) Je préfère de loin qu'on me laisse la surprise. (Bernstein jeune.) Laissez-moi croire que les cordes continueront leur ouvrage obstiné, que les vents chanteront pour toujours, que cela durera à jamais. Et, puisqu'il faut bien conclure tout de même, la cadence aura découpé comme une tranche d'éternité.

dimanche 23 mai 2010

Vachologie

Lue au mur d'un magasin de musique londonien, cette phrase d'Aaron Copland :

Listening to the Fifth Symphony of Ralph Vaughan Williams is like staring at a cow for forty-five minutes.

Les aphorismes et citations me plaisent d'autant plus qu'ils sont injustes et méchants : Copland s'y connaissait en vacheries, lui qui ne savait composer que pour le rodéo.

lundi 18 janvier 2010

Vieux people

Qui est donc cette Marie-Thérèse ? L'homme du vingt-et-unième siècle, éduqué à la presse de caniveau, flaire le graveleux. Il s'agirait d'en savoir plus : Haydn a donné son nom à sa quarante-huitième symphonie ! Qui était-elle ? Qui était-elle pour lui ? Qu'ont-ils fait ensemble ?

Renseignements pris, rien. Mais ne brûlons pas les étapes : prenons la symphonie comme un portrait et imaginons. (Cette symphonie n'est justement pas un portrait : l'exercice n'en sera que plus injuste et plus drôle.)

Marie-Thérèse sonne comme une grosse dame rigolote (allegro), spirituelle (finale), mais un peu mélancolique parfois (andante). Est-elle veuve ou vieille fille ? Je ne saurais dire. Mais une chose est sûre : elle aime la chasse à courre. Oh ! ça oui. (Pourquoi, sinon, ces sonneries de cor dans le premier mouvement ?) Le dimanche, bien avant la messe, quand l'aube blafarde peine à déchirer la brume sur la lande, un fusil dans le dos, un parapluie-canne à la main, toute vêtue de tweed et de daim, elle part. Un canard sauvage, un faisan, quelques bécasses plus tard, elle s'en revient, passe un tablier et met à mariner. Une messe rapide où elle tient l'orgue puis, de retour chez elle, mijotage, rôtissage et braisage. Dans la salle à manger, une horloge de grand-père sonne enfin midi. On frappe à la porte. Elle ouvre. Entre un vieux monsieur en perruque poudrée : c'est Papa Haydn. La suite ne regarde plus qu'eux.

Résumons : pour moi, Marie-Thérèse ressemble à Wendy Worthington, tendance chasseresse, ascendant cantinière. Évidemment, rien de tout ça n'a existé, mais ce n'en est que plus beau.

Les compositeurs ont ainsi semé des noms à travers l'histoire. Si, grâce à Beethoven, Élise est sans doute la plus connue, la dédicataire de l'Annen-Polka de Johann Strauß fils est ma préférée : je la vois tournoyer telle une toupie obèse dans une salle de bal bondée, éjectant les autres danseurs, écrabouillant son cavalier. (Fantasia est passé par là.) Il s'agit le plus souvent d'hommages et non de portraits, mais il n'est pas interdit de s'amuser. Une exception, tout de même : Sir Edward Elgar a maquillé ses amis derrière des trigrammes cryptiques et  a embrumé le tout dans un thème mystérieux. Ce sont les variations Enigma. Les musicologues, qui ne sont pas moins joueurs que les autres, ont identifié tout les personnages (Cela brime l'auditeur, qui aimerait les inventer.) mais ils butent toujours sur le thème.

Finalement, qui est donc cette Marie-Thérèse ? Une impératrice d'Autriche, excusez du peu. Mais cela n'a pas la moindre importance, si ?

jeudi 31 janvier 2008

Pomme, pomme, pomme, pomme...

Vous n'en auriez pas plutôt à la cerise, cerise, cerise, cerise ?

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mardi 8 mai 2007

Message de service

Par solidarité avec Arlette Chabot, ce blog s'est tu : Arlette m'a tu. (Rien à voir.)

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mercredi 11 octobre 2006

Eloge de la lourdeur

Rien à voir avec mon humour, merci.

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samedi 18 décembre 2004

The sound of silence

Où l'Auteur ne parle ni de Simon, ni de Garfunkel.

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