Comme certains intervalles, les compositeurs sont parfois diminués.

Il en est un, fameux, qui était sourd. À voir les quelques portraits de lui qui nous restent, il ne devait pas être de ces sourds lunaires et joviaux qui tournent vers vous leur bonne oreille ; comme les tournesols, vers le soleil. Non, lui était plutôt du genre renfrogné et grincheux : il avait cet air furieux  et constipé qu'on ne connut guère ensuite qu'à de rares Prime Ministers et de nombreux bouledogues. Ça ne l'empêcha pourtant pas de mettre en musique l'Hymne à la Joie...

Pour autant, il ne me semblait pas qu'il y eût de compositeur unijambiste : même Lully, qui a tout fait pour le devenir, n'est parvenu qu'à l'état de compositeur mort - ce qui est déjà plus commun.

J'avais tort, de toute évidence. Et combien ! J'ai découvert par hasard l'existence d'une exception. Que dis-je, une exception ! une monstruosité : un compositeur unijambiste et manchot ; un compositeur qui avait le pied plat ; un compositeur qui n'avait pour ainsi dire pas de tronc. Une jambe, en somme, avec une grosse tête posée par dessus. (Peut-être même était-ce la tête de Beethoven. Ou celle de l'Oncle Pisou, allez savoir.) Comment mangeait-il, me demanderez-vous ? comment se déplaçait-il ? comment composait-il ? J'imagine que sa nourriture passait directement dans sa jambe, qu'il allait et venait à cloche-pied et qu'il devait dicter ses œuvres à la fille de sa concierge que sa grosse tête effrayait. Pour le reste, je ne sais.

Je ne sais qu'une chose : ce mois-ci, Diapason a décerné un "Diapason d'Or" à un enregistrement de la Sonata decima de Johan Christoph Pez.