Petit chosier

Brimborions, babioles et bidules
Par Romain T. et Fabrice D.

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Salles obscures

Fil des billets

lundi 27 août 2012

Pitches

Les classiques

2001, Une Odyssée de l'espace, de Stanley Kubrick : L'humanité évolue de monolithe noir en lumières multicolores, puis inversement.

Rencontre du troisième type, de Steven Spielberg : Richard Dreyfuss sculpte de la purée, l'armée endort des vaches et François Truffaut joue du synthétiseur à un doigt.

Citizen Kane, d'Orson Wells : Rosebud !

Les économes

Boogie nights, de Paul Thomas Anderson : Mark Wahlberg en caleçon.

Splash, de Ron Howard : Darryl Hannah en bikini.

Charlie et ses drôles de dames, de McG : Bill Murray.

Les bizarres

Shivers, de David Cronenberg : Des sangsues phalloïdes poussent les habitants d'un immeuble québécois à des orgies mortelles.

Fog, de John Carpenter : Un brouillard hanté tue des descendants de naufrageurs, laissant derrière lui une odeur de poisson.

Inception, de Christopher Nolan : Des manipulateurs de rêve rêvent qu'ils manipulent les rêves d'un manipulateur qui rêve de manipuler les rêves d'un manipulateur de rêve.

Les inratables

Anaconda, de Luis Llosa : Un anaconda tue des gens.

Piranha, de Joe Dante : Un piranha tue des gens.

Piranhas!, de James Cameron : Des piranhas tuent des gens.

Cube, de Vincenzo Natali : Un cube tue des gens.

Rubber, de Quentin Dupieux : Un pneu tue des gens.

Duel, de Steven Spielberg : Quelqu'un tue un camion.

lundi 26 mars 2012

Un soir de concert

A l'auditorium de Lyon, les concerts commencent à 20 heures. Vous pouvez arriver avant, vers 19h, pour assister à un propos d'avant concert qui vous apprendra deux ou trois mots sur les œuvres au programme. (Les conférenciers ont malheureusement l'habitude de passer des extraits des œuvres. Je comprends mal l'idée vu qu'on va les entendre quelques minutes après.)

19h50, vous vous asseyez, vous embrassez la salle d'un regard. Deux possibilités : une œuvre ou un concerto (un morceau pour soliste et orchestre) très connu va être joué. La salle est alors pleine à craquer, c'est la bousculade dans les gradins, le brouhaha général. L'autre terme de l'alternative : le programme comporte des œuvres peu connues, ou pire de la musique contemporaine. Ou d'un compositeur oublié. La salle est alors à peine remplie au quart. Il faut dire que Joséphine-Eugénie, dans son petit triplex du boulevard des Belges, n'aime guère s'aventurer à écouter au-delà de Beethoven ou Chopin.

20h03, les lumières se tamisent. Quelques instants avant, les musiciens de l'orchestre sont entrés sur scène, certains même étaient là avant pour vérifier une dernière fois un trait ou l'autre de leur partie. Tous sont donc arrivés, sauf le premier violon qui en France arrive seul après tous les autres musiciens ; il a droit à quelques applaudissements pour lui seul, premier parmi ses pairs. (En Allemagne et en Angleterre, le premier violon arrive plus démocratiquement avec tous ses collègues et ne bénéficie pas de ce petit traitement de faveur.) Le silence se fait, l'orchestre va s'accorder. Le hautbois solo se lève et donne un premier la à tous les bois et cuivres. Deuxième la du hautbois : le premier violon épaule alors son instrument et le relaie à l'ensemble des cordes. Le hautbois étant le plus juste des instruments de l'orchestre symphonique, c'est à lui que revient la primeur de faire s'accorder ses collègues. Une exception toutefois : la présence d'un instrument à clavier. A fortiori si c'est un orgue, il n'est plus temps d'en modifier l'accord : c'est donc sur son la que tout le monde va s'accorder.

Le silence se fait ; le chef arrive ; le concert commence.

En plus de la musique, on entendra plus ou moins de bavardages, froissements de papier, fouilles dans des sacs à main, toux diverses. Le public lyonnais est peu discipliné (c'est particulièrement vrai des gens âgés), tout se perd ma bonne dame si les vieux sont les plus impolis. Si un concerto est joué, en général à la fin du premier mouvement quelques mécréants ne se priveront pas d'esquisser un début d'applaudissement. Sévère chorale de chut réprobateurs s'ensuit immanquablement, menée par Joséphine-Eugénie et ses amies du Club-des-bonnes-manières-à-respecter-en-société. On ne sait pas trop bien pourquoi il faudrait se retenir d'applaudir, si la musique fut particulièrement bonne, le morceau spécialement bien enlevé. Ce sont souvent les mêmes qui discutent avec leur voisin pendant la musique et qui ne tolèrent pas un clap après, allez comprendre.

La première partie du programme se termine, suit un entracte. Certains snobs en profitent pour partir après le concerto, ce serait dommage d'entendre la symphonie qui suit en deuxième partie, pensez, la musique risquerait d'être meilleure. A la fin du concerto l'artiste aura parfois joué un bis, souvent seul, l'orchestre faisant alors partie du public. Il est rare que l'on entende un vrai bis, c'est-à-dire que l'un des mouvements du concerto soit joué à nouveau.

Après l'entracte, reprise. A la fin de la deuxième partie, il est encore plus rare que l'orchestre donne un bis (j'ai du le voir deux ou trois fois en huit ans). Dès la dernière note jouée, une partie du public se lève et monte les escaliers quatre à quatre pour atteindre la sortie, de peur de rester enfermé. Les autres applaudissent, rappellent plusieurs fois le chef parfois. En France, on pratique peu voire pas du tout la standing ovation, plus courante dans d'autres pays. Le public applaudit beaucoup, même si ce fût mauvais (cela arrive rarement). On ne siffle pas, comme cela pourrait se produire à l'opéra ; on ne s'abstient pas non plus d'applaudir en signe de protestation. Fabrice me rappelle souvent que cela arrive parfois, en Israël.

Pour ne pas coucher là, après le quatrième ou cinquième rappel les musiciens d'orchestre se font la bise et quittent la scène, mettant fin aux applaudissements. Alors, les gens de goût rentrent chez eux, vont manger un morceau, croquent un carré de chocolat et se servent un cognac ABK6, ainsi dénommé parce que c'est son nom. Par la suite, ils se rêveront peut-être sur scène, à faire de grands gestes arrondis pour modeler une phrase à la mélodie infinie, comme dans le mouvement lent de la cinquième symphonie de Sibelius. Et les cygnes s'envoleront...

lundi 5 mars 2012

Berenice Abbott au Jeu de Paume

Samedi après-midi, direction la Galerie nationale du jeu de paume à Paris, près de la place de la Concorde. Ce lieu d'exposition est moins connu que les grands musées de la capitale, ou autres lieux d'exposition tels que l’Hôtel de Ville ou le Grand Palais souvent pris d'assaut lors d'expositions monstres qui attirent les foules (Claude Monet au Grand Palais il y a peu, Robert Doisneau en ce moment à l'Hôtel de Ville, par exemple). Le Jeu de Paume est plus discret, plus confidentiel aussi. J'y ai vu des toiles illuminées de Zao Wou Ki, sidérantes, mais il faut dire que le format du bâtiment se prête particulièrement bien à des expositions de photographies. Ces dernières années, Robert Frank, Lee Miller, Richard Aveydon, ou plus proches de nous André Kertesz (dont les vues parisiennes valent les clichés les plus parfaits d'Henri Lartigue ou de Henri Cartier-Bresson) et Diane Arbus ont eu les faveurs d'une exposition. Que j'ai ratée, d'ailleurs.

Pendant deux mois, c'est l'américaine Berenice Abbott (1898—1991) qu'on voit sur les murs crème de la Galerie. Influencée par le travail documentaire autant que sentimental d'Eugène Atget sur le vieux Paris, Abbott photographie New York sous toutes ses coutures. Avant ce travail d'une vie : des portraits, d'une grande sobriété, qui m'ont rappelé ceux d'Irving Penn vus ils y a quelques années à la National Portrait Gallery de Londres. Les épreuves gélatino-argentiques des années 1920 et 1930, dont on voudrait toucher l'épaisseur reluisante, sont superbes. On avait vu des tirages similaires durant l'exposition Kertesz ; on voudrait toujours voir de telles photos si présentes, si chaleureuses. Après la seconde guerre mondiale, Abbott change d'angle de vue et se la joue Walker Evans, en photographiant minutieusement les États-Unis profonds : petites gens, petites villes, champs. Elle effectue également un travail de photographies scientifiques, dans le cadre de la réalisation de manuels scolaires ou pour des ouvrages de vulgarisation. Ceci me semble moins essentiel, bien que le parti pris esthétique de ces photographies, pleinement assumé, est éclatant.

On est heureux d'avoir patienté si peu de temps pour entrer. Une fois à l'intérieur, on a compris : on se bouscule devant les petits cadres. Dehors, dans la file d'attente, on se souvient d'une attente précédente au même endroit, durant laquelle une Italienne posait de façon outrée pendant que son copain la mitraillait avec en toile de fond la Concorde et la tour Eiffel. Cette fois-ci, on n'a pas perdu une miette de trois jeunes filles à grosses lunettes œil de mouche, trop dénudées vu le froid ; elles se gelaient pour un shooting de photos de mode. L'attente fut ponctuée par le passage de joggeurs, dont un jeune blond qui faisait le tour des Tuileries à une vitesse où moi je courrais pour attraper un bus. Il est passé trois fois avant qu'on entre. Il courait toujours quand on est sorti.

samedi 10 décembre 2011

My magic flute

Ce soir, à l'auditorium de Lyon (alors que quelques milliers de personnes s'entassaient dans les rues pour voir les installations de la fête des lumières), il y avait James Galway. Flûtiste irlandais, bonhomme, et un programme de musique américaine. Il a plus de soixante-dix ans, joue encore parfaitement, et les traditionnels irlandais en guise de bis étaient plutôt chouettes. Les lignes mélodiques du lyric concerto de Bolcom, l'arrangement soupesque de Shenandoah de McTee, il les a rendues comme un jeune premier.

Un récital dont le titre était celui de ce billet avait paru il y a quelques années, qui s'était fait incendier par la critique. Même dédain affiché la semaine passée par un collègue flûtiste lui aussi, dont le professeur lui aurait dit de ne pas y aller, Galway ce n'est plus ce que c'était. À ce stade je dois préciser que je déteste la flûte, mais j'ai passé un très bon moment. Hors les instants de cabotinage sympathiques entre le chef et le soliste, Galway a joué pour finir son concert la plus rapide badinerie de Bach que j'aie jamais entendu. Et, après avoir raclé toutes leurs bronches pendant les mouvements lents, les vieux du sixième amateurs de vieux flûtistes sont ressortis de la salle heureux.

mercredi 6 avril 2011

La malédiction de l'évier

Phil s'est fait virer et il lave la vaisselle. À quoi sa femme peut-elle bien penser ? Elle dort sur le canapé, irresponsable. À croire qu'elle ne va pas au cinéma : elle saurait.

Le spectateur, lui, comprend dès le premier plan. Il ferme les yeux et prédit la scène, rapidement, entre deux coups d'éponges, comme il l'a vue sur tant d'écrans. Il les rouvre, pour vérifier, et n'est pas surpris.

Phil termine sa dernière assiette, la met à égoutter et repose l'éponge. Il se sèche les mains. Il ouvre le placard sous l'évier, en sort un sac poubelle. C'est un symbole, le sac poubelle : des déchets mis au rebut, des objets inutiles, des choses en fin de vie. Le regard s'attarde longuement, tendrement, sur sa femme. Elle ne se réveille pas — ç'aurait pu tout changer. Il sort vers le garage qui est éclairé, à l'américaine. Il jette le sac dans un bac et se retourne pour affronter la nuit, une dernière fois. En entrant, il actionne un interrupteur et, tandis qu'il longe sa voiture, la porte se referme derrière lui. À travers la vitre, on le voit monter en voiture. La porte du garage s'immobilise avec le bruit de la première pelletée de terre. Phil met le contact. Noir.

Tout personnage qui fait la vaisselle dans un film américain finit par se suicider en laissant tourner sa voiture dans son garage.

jeudi 14 janvier 2010

Regrets éternels des éternels seconds

Y a-t-il seulement un film qui ait été sauvé de la médiocrité par son acteur principal ? Le talent des stars est en cuivre ; il ne brille que si un scénariste, un metteur en scène, un réalisateur le frottent à la paille de leur génie ; livré à lui-même, il se ternit, se vert-de-grise, se réduit à une petite chose décorative mais sans éclat. Tandis que les seconds rôles ! Ah ! les seconds rôles... Des pépites qui persistent à briller une fois tombées dans la fange.

Certains réalisateurs acceptent certains scénarios pour une scène, une seule, qu'ils veulent pouvoir tourner. Brian De Palma et l'interminable plan-séquence au début de Snake Eyes, par exemple. Certains spectateurs, de même, n'acceptent certains films que pour une apparition, une éclaircie, un miracle. Ces spectateurs, dont je suis, vénèrent des saints obscurs dont les noms sont oubliés et dont seuls les visages flottent dans la mémoire collective. Ils apparaissent à l'écran comme, sur un vitrail, tel chevalier terrassant un dragon : l'icône est familière au plus mécréant, mais était-ce Saint-Georges ou Saint-Michel ? L'enthousiaste, seul, reconnait Joe Viterelli ou Vincent Schiavelli. La liste est longue de ceux qui s'entassent dans ce Panthéon mal éclairé : Jürgen Prochnow, Patrick Bauchau, J.K. Simmons, James Cromwell, Holland Taylor, Robert Prosky... Des querelles de chapelle apparaissent : Max von Sydow est-il trop connu ? et Christopher Plummer ? et Vincent Price ?

Pourquoi tout cela ? A cause de tout le reste : Anything else n'est pas un grand Woody Allen. C'est un film honnête, mais un peu lent, un peu bavard, sans la magie ou la folie qui illuminent les meilleurs opus. Pour autant, je le reverrai sans déplaisir et je le conseillerai à quiconque. Car Danny De Vito. Même plus besoin de verbe : Danny De Vito, dans une scène surtout, que je ne dévoilerai pas, Danny De Vito est l'action. Danny De Vito s'installe à table, bouscule involontairement la table, la salière manque tomber, Danny De Vito la stabilise d'une main, s'excuse auprès de la star, s'assoit, attend, écoute, est surpris, est peiné, est énervé, vocifère, postillonne, n'essuie pas la bave qui lui reste sur le menton, hurle, envahit le décor et le parcourt comme une boule, un flipper. Pour cette scène, et pour sa chute, je reverrai ce film, inévitablement.

Inévitablement, aussi, une légère tristesse m'étreint lorsque je croise un de ces merveilleux seconds couteaux. Joe Viterelli a-t-il toujours rêvé de ne jouer que des hommes de main mafieux ? Danny De Vito n'aurait-il pas voulu, un jour, être un jeune premier ? Christopher Lee n'aimerait-il pas, un jour, ne pas faire peur ? Que font-ils tous, entre deux films ? J'aime les imaginer jouant Shakespeare dans un petit théâtre poussiéreux où l'on ne les oblige pas à être eux-mêmes. Ils y jouent sous pseudonyme ou exigent pour leur nom le corps de police le plus minuscule de l'affiche. Le texte est bon : pas de miracle pour aujourd'hui, c'est relâche, c'est récréation. John Goodman est Roméo, Mariane Sägebrecht est Juliette, le balcon n'a qu'à bien se tenir.

Peut-être, plus simplement, attendent-ils tous les matins le scénario de leur vie en enviant Bill Murray dans Lost In Translation.