L'idéal, évidemment, serait de réfléchir avant d'écrire ; mais réfléchir a posteriori n'est certainement pas le pire des pis-aller. Commençons donc par un battage de coulpe en règle : mon billet précédent est doublement coupable.

Et d'un, je me suis clairement laissé aller au bobo-centrisme. La pomme était si belle que je l'ai croquée sans plus m'inquiéter : l'occasion jubilatoire de rechercher et de citer des termes un peu rares ; le parallèle tentant entre la pauvreté du vocabulaire du fast-food et l'immédiateté de cette nourriture, le labeur de la cuisine traditionnelle et le bouillonnement du dictionnaire ; le besoin d'un retour à la terre, d'un retour aux racines pour un jeune citadin d'origine rurale. Tout y était. Le résultat ? Il faut équeuter les haricots pour éviter la barbarie. Faiblard.

Comment ne pas discuter, au moins, de ce que l'effilage des haricots peut apparaître comme un luxe ? Pour n'avoir pas eu dernièrement à me poser la question, il me semble bien avoir lu que les fruits et légumes frais n'étaient plus à la portée des foyers les plus modestes. Mettons que cette objection m'ait été masquée par mes préjugés de classe (appelons cela comme cela), il y en avait une autre, bien plus proche de mon quotidien, que je suis impardonnable de n'avoir pas vue : l'équeutage des haricots est un loisir pour celui qui rentre raisonnablement frais d'une journée raisonnablement courte d'un travail raisonnablement épanouissant, pour celui sur lequel ne pèsent pas d'autres tâches ménagères que cet équeutage librement choisi, pour celui que l'urgence des attentes d'un conjoint amorphe ou d'enfants braillards ne contraint pas. N'est-ce pas un luxe exceptionnel d'avoir pour loisir ce qui, si facilement, pour d'autres, serait une corvée ?

On touche à ma deuxième faute : j'ai raté une occasion de parler d'Élisabeth Badinter. Elle est au centre d'une petite polémique pour avoir opposé écologie radicale et émancipation de la femme. Son argument : l'écologie fait le lit du naturalisme et, revenant sur les acquis du XXe siècle, tend à réduire la femme à la maternité. (Je résume d'après la presse, car j'avoue ne pas avoir lu Le Conflit.) L'exemple qui circule est celui des couches lavables et de l'allaitement naturel qui, de bonnes pratiques environnementales, deviennent des impératifs moraux puis des corvées auxquelles la femme se doit de se plier pour être une bonne mère, c'est-à-dire une bonne femme.

On reproche à Mme Badinter d'ignorer les nuances du mouvement écologiste et de considérer Mmes Kosciusko-Morizet ou Duflot comme des écologistes radicales. (Je peux gagner, à ce jeux-là : si ces dames sont radicales, j'ai parmi mes amis de véritables extrémistes.) Une radicalité aussi consensuelle peut certes faire sourire, mais ce serait passer à côté de la question.

Si l'on s'éloigne un instant du féminisme, auquel je ne peux guère apporter et que Mme Badinter défend très bien sans mon aide, on voit assez bien la ressemblance entre la couche lavable et le haricot. Deux pratiques, marginalisées par le progrès technique, que l'on promeut soudain au nom de la nature (ou, plus marginalement, de la lexicographie), en faisant fi de la contrainte, de l'asservissement qu'elles peuvent engendrer. Deux impératifs qui viennent rogner la liberté des plus faibles, discrètement, au nom d'une cause indiscutable devant laquelle tout doit s'effacer.

N'y a-t-il pas une voie moyenne entre la Cause des uns et la Liberté des autres ? Ou, formulé autrement, suis-je vraiment tenu d'adhérer à une AMAP, de rencontrer des paysans et de renoncer à choisir les haricots que j'effile ou que j'équeute ?