Je m'en défends, hypocritement, mais je sais que j'aime presque ça.

Regardez-moi rouler des yeux, jeter des regards réprobateurs à ceux qui semblent prendre du plaisir, surjouer la souffrance. Je bluffe. J'aime la mauvaise musique, parfois. Pas souvent, mais parfois. J'ai eu ma période Gold, je suis un inconditionnel des Beach boys (avant Cocomo) et, quand les conditions sont toutes réunies, les astres tous alignés et les signes tous favorables, il m'arrive de supporter Goldman.

Il y a certainement des pédés qui aiment vraiment Mylen Farmer et Cher, Dalida et Britney Spears, Sheila et Chantal Goya, Dave et George Michael. Certainement. Mais je soupçonne la plupart d'entre nous d'avoir simplement développé une sorte de système immunitaire musical - juste de quoi passer une soirée dans un bar gay sans ressortir avec une camisole de force. Oh ! je me suis résigné, je ne serai jamais un vrai pédé label rouge mais... je souffre de vous le dire... d'ailleurs je ne sais comment le dire... Il m'arrive de prendre du plaisir à écouter tout ces noms que je viens de citer.

Plus généralement, il m'arrive de prendre du plaisir à écouter de la musique des années 80. Duran duran, A-Ha (ou bien était-ce Ha-A, ou Ah-A ?), Scorpion, Gold, Image... Tout sauf Indochine, en fait. Même les Rita Mitsoukos ! Tchikiboum-kiboum, tchikoum-baoum et tout et tout.

Néanmoins...

Néanmoins, tout cela ne me parle pas. Oh, oui, cela s'écoute, assurément. Ça arrache parfois même un sourire. D'apitoiement plus que de vrai plaisir, en général. Rarement, on a de bonnes surprises - Tiens, Goldman connait un deuxième accord. Mais, sincèrement, cela ne m'émeut pas.

Je ne vibre pas à tout cela. Enfin, si, je vibre : mes intestins battent la mesure au rythme des ti-boum ti-boum, je les sens gigoter. Mais, bon, en face de la fanfare municipale de Saint-Amand-Montrond aussi, j'ai les tripes émoustillées. Mais mon âme ? Elle ne vibre pas, elle.

Alors je rentre chez moi et j'en reviens à ceux qui ne m'ont jamais déçu. Ce soir, c'est Beethoven. D'autres, ce seront Schubert, ou Tchaikovsky, ou Brahms. Plus rarement, Liszt, Elgar, Mahler, Smetana, Prokofiev ou Rachmaninov. Deux mesures de Mahler et je suis terrifié, deux heures de Beethoven et je suis transcendé.

Alors, oui, sans doute, je suis snob. Oui, sans doute, il faudrait que je m'ouvre à la musique d'aujourd'hui. Mais que voulez-vous...

J'évoquais Smetana. Il a composé un cycle de six poèmes symphoniques absolument superbe intitulé Ma Patrie. Sa patrie, c'est la Tchéquie et dès qu'il m'en parle je suis tchèque. Le deuxième poème, le plus connu, celui qu'a massacré éhontément Marc Lavoine, est la Moldau. Il y suit le court de cette rivière, tourbillonne dans ses rapides et entre triomphalement avec elle dans Prague.

Ce que j'aime écouter - ce que j'aime réellement écouter me fait cet effet-là. Celui d'un flot qui m'emporte avec lui. Mais qui ne m'emporte pas loin de moi mais en moi, au contraire : les coups, les chocs, les fracas de Beethoven, ce n'est pas une évasion mais de l'introspection.

Qu'y puis-je, moi, si comparé à ces fleuves majesteux et puissants Goldman me fait l'effet d'une petite tasse d'eau tiède ?